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Jean-Yves Nau : "Le paquet neutre, petit leurre contre le fléau du tabac"

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Jean-Yves Nau : "Le paquet neutre, petit leurre contre le fléau du tabac"

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Cette mesure phare vantée par Marisol Touraine n’a aucun sens si elle n’est pas associée à une augmentation drastique des prix et à un soutien explicite à la cigarette électronique. Une politique dont le gouvernement ne veut pas.

Les sénateurs comprennent les buralistes. C’est pourquoi ils ne veulent pas s’attaquer au tabac. Mercredi 22 juillet la commission des Affaires sociales du Sénat supprimait le texte instaurant le «paquet neutre»[1] déjà voté par les députés. Pour autant, on aurait tort d’en tirer la conclusion que le seul fait d’effacer les couleurs et les logos des paquets de cigarettes réduira la clientèle, toujours plus jeune et plus féminine, des 27.000 buralistes français.
Au moment où les buralistes manifestaient devant le Sénat, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Ofdt) publiait les derniers chiffres de la consommation de tabac:

«En juin 2015, les ventes de cigarettes ont progressé de 4% et celles de tabac à rouler de 11%, par rapport au mois de juin 2014. Sur le premier semestre 2015, les ventes de cigarettes sont en très légère hausse (+0,3%) alors que celles de tabac à rouler progressent de 6% par rapport à la même période en 2014.»

Lutter contre le tabac? Le Sénat s’y emploie. Il a adopté en commission un amendement déposé par le sénateur Richard Yung (PS, Français établis hors de France). Ce texte propose tout bonnement d’appliquer une directive européenne qui prévoit d’accroître la taille des avertissements sanitaires sur les paquets tout en conservant la marque du fabricant. Cette disposition se fonde sur le fait que le paquet neutre serait une «atteinte à l’image des marques». C’est très précisément ce que demandait Pascal Montredon, président de la Confédération des buralistes français. C’est également la position défendue par les géants du tabac, comme le montre l’analyse de Philip Morris France sur le paquet neutre.

«Première génération de non-fumeurs»

Le gouvernement a aussitôt fait savoir que l’amendement«paquet neutre» serait réintroduit en septembre, à l’initiative du gouvernement ou du Parti socialiste. «La santé mérite mieux que ces petits jeux politiques, a déclaré sur France Info Marisol Touraine, ministre de la Santé. Le texte arrivera à l’examen au Sénat en septembre, je déploierai toute la conviction que je peux avoir parce que c’est pour moi un engagement fort et personnel.» De fait, la ministre de la Santé déploie beaucoup d’énergie dans la lutte contre le tabac, première cause de mort évitable (près de 80.000 décès prématurés chaque année –vingt fois plus que les accidents de la circulation). Elle le fait surtout depuis que François Hollande l’a, en février 2014 dans le cadre du Plan Cancer, chargée d’élaborer un «Programme national de réduction du tabagisme» (PNRT).
Présenté en septembre dernier, ce PNRT n’a toujours pas vu le jour. Il prévoit qu’en 2019 le nombre de fumeurs devra «avoir baissé de 10%» et qu’en 2029 la France comptera moins 20% de fumeurs (contre plus de 30% aujourd’hui, soit environ treize millions).«Nous voulons que, dans moins de vingt ans, les enfants qui naissent aujourd’hui soient la première génération de non-fumeurs», ne craint pas de déclarer Marisol Touraine. Pour la ministre de la Santé le «paquet neutre» est la clef de voûte du dispositif. Il s’agit ici de «protéger les jeunes» et de «rendre moins attractif» l’objet de l’addiction. Aujourd’hui plus d’un jeune de 17 ans sur trois fume en France –et ce, alors même que l’achat du tabac est interdit aux mineurs et que l’on a, pour protéger ces derniers, interdit la vente des cigarettes en chocolat.
Outre l’adoption du paquet neutre, le PNRT prévoit l’encadrement de la publicité pour les cigarettes électroniques, l’interdiction du vapotage dans certains lieux publics, celui de«fumer en voiture en présence d’enfants de moins de 12 ans» ou de fumer dans les«espaces publics de jeux pour enfants». Ce programme comporte d’autres mesures comme des «campagnes d’information choc» ou le «renforcement de la transparence sur les activités de lobbying de l’industrie du tabac». Mais il ne comporte en revanche aucune action sur l’augmentation progressive et drastique du prix des produits du tabac. Or toutes les expériences dans ce domaine démontrent que la réduction de la consommation collective passe par une politique volontariste des prix. Ce fut notamment le cas en France lors du second mandat présidentiel de Jacques Chirac, ancien fumeur, qui voulut qu’une véritable politique soit conduite sur ce sujet majeur de santé publique.

«Aucune politique choc»

Favorable à l’introduction du paquet neutre, la plupart des tabacologues et des spécialistes de la lutte contre les addictions dénoncent le fait que cette mesure ne s’intègre dans aucune politique structurée et en l’absence de mesures sur les prix.

Nous ne sommes pas contre le paquet neutre. Il faut en finir avec ‘l’effet Camel’ et les prouesses du marketing visant les ‘djeuns’
Auteur si besoin

«Nous ne sommes pas contre le paquet neutre. Il faut en finir avec “l’effet Camel” et les prouesses du marketing visant les “djeuns”, ont déclaré à Slate.fr le docteurWilliam Lowenstein, président de SOS addictions, et Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. Cette mesure est à soutenir et son efficacité devra être évaluée.  Mais il y a ici un reproche central, politique, qui doit être formulé: le fait de glorifier à ce point le paquet neutre et de demeurer toujours aussi frileux vis-à-vis de la cigarette électronique, qui constitue un levier majeur pour lutter contre la consommation de tabac. Sans oublier l’indispensable augmentation (brutale) des prix. Au final, il n’y a malheureusement là aucune “politique choc” contre le fléau sanitaire du tabac.»

Marisol Touraine ne leur laisse aucun espoir. Elle continue de refuser de voir dans la cigarette électronique une possibilité majeure, historique, de lutte contre le fléau tabagique. Quant à la politique volontariste des prix, on retrouve la schizophrénie inhérente à la fiscalisation de l’addiction au tabac, une situation qui fait que c’est le ministre des Finances et le Premier ministre qui, ici, priment sur celui de la Santé. En écho à la demande de Michèle Delaunay, cancérologue, ancienne ministre et députée (PS, Gironde) qui réclame un paquet de cigarette «au-dessus de 10 euros», Marisol Touraine a précisé il y a quelques jours sur RTL que l’augmentation du prix du tabac n’était pas«l’objectif du gouvernement» auquel elle appartient. Dans le même temps elle a annoncé que la «volonté française» était claire: aller vers «un monde sans tabac». Comprenne qui pourra.

1 — Le paquet de cigarette neutre ne comporte ni logo, ni dessin, ni image de la marque. Tous les paquets seront de même couleur, vert olive. Le nom de la marque reste inscrit mais en petite taille et avec une typographie standard. Les avertissements sanitaires couvrent la majeure partie du paquet. Sa mise en place est prévue dans les débits de tabac en mai 2016. Seule l’Australie a mis en œuvre cette mesure dans le cadre d’un ambitieux plan de lutte contre le tabac dont les résultats sont controversés.  L’Irlande et la Grande-Bretagne ont décidé en début d’année d’adopter le paquet neutre  en 2016 ou 2017. Retourner à l’article

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