Les addictions alimentaires

Les addictions alimentaires

Ce n’est pas votre estomac qui réclame, c’est votre cerveau

DR : Dr Pascale Modaï vous êtes nutritionniste et vice-présidente de SOS Addictions. Quel est le lien entre la nutrition et l’addiction ?

PM : Quand on travaille comme nutritionniste, on a face à nous des patients qui viennent nous expliquer pourquoi ils mangent. Et on réalise à ce moment-là que certains ont des comportements qui dépassent complètement leur volonté. Ils viennent, ils savent ce qu’ils veulent faire, mais ils n’y arrivent pas. Et on se rend bien compte, d’ailleurs, si les échecs des régimes sont si importants, c’est parce que le comportement alimentaire obéit à plusieurs choses et on est au-delà de la diététique pure.

Il faut faire la différence entre être gourmand et être addicte, ce n’est pas forcément la même chose. Mes patients me disent parfois : « mon estomac n’a pas faim mais mon cerveau a faim. » L’addiction alimentaire, comme les autres addictions, c’est une maladie du cerveau, c’est-à-dire que ce n’est pas votre estomac qui vous réclame, c’est votre cerveau. Comme dans l’addiction, on retrouve cette perte de contrôle, cette compulsion, ce besoin irrépressible de manger, on sait qu’il ne faut pas le faire, qu’il y aura des conséquences, en particulier sur le poids, mais on a beau le savoir on n’y arrive pas. Et ça c’est typique de l’addiction.

DR : Est-ce qu’on peut être addicte à la nourriture comme on peut être addicte à la cigarette, à l’alcool, à la cocaïne ?

PM : On est totalement addicte à la nourriture comme on est addicte à la cigarette ou à l’héroïne ou à internet ou à d’autres choses. Les nutritionnistes classiques réfutent cette notion d’addiction, et encore une fois, font appel comme dans l’addiction à la volonté des gens pour leur demander d’arrêter de manger. Si ce n’était qu’une question de volonté ce serait vraiment très simple, car ces gens-là veulent ne pas manger mais l’appel du paquet de biscuits, du morceau de fromage ou du bout de chocolat, comme l’appel de la cigarette, de l’injection, de tout ce qu’on veut, on ne peut pas y résister.

On n’est pas accro à la substance dans l’aliment, on est accro à notre propre dopamine

DR : Est-ce que la nourriture, comme une substance psychoactive, a une fonction apaisante ou calmante sur le patient ?

PM : Ce qui est très intéressant c’est que dans la nourriture on ne peut pas parler, aujourd’hui de substance psychoactive identifiée. En revanche, nous secrétons notre propre substance qui nous rend accro puisque le circuit de la récompense est stimulé de la même façon par du chocolat, du gruyère, des biscuits, de la cocaïne ou du cannabis. Quand on mange, on se sent immédiatement soulagé, détendu. Bien sûr, on a plaisir à manger mais quand on mange de façon addictive ça va au-delà du plaisir gustatif. Ça fait du bien, ça fait secréter de la dopamine de la même façon. On n’est pas accro à la substance dans l’aliment, on est accro à notre propre dopamine comme quand on est accro à internet ou aux jeux. Il n’y a pas de substance dans internet, c’est nous qui secrétons notre propre substance. Dans l’alimentation, à ce jour, il n’y a pas de substances addictogènes détectées, ce qui fait dire aux nutritionnistes que ce n’est pas une addiction, mais c’est une addiction comportementale qui va nous faire ce même plaisir, ce même soulagement que l’on retrouve dans d’autres addictions.

DR : Est-ce que lorsque l’on est accro, par exemple au chocolat, on est forcément addicte, on a un comportement addicte ?

PM : Pour parler d’addiction il faut quand même qu’il y ait une souffrance à un moment ou à un autre. Quand on mange une tablette de chocolat parce qu’elle est délicieuse et puis qu’on n’y pense plus, on n’est pas accro. Quand on est addicte au chocolat par exemple, ou au fromage ou aux biscuits, aux produits gras et sucrés, on y pense beaucoup, on a besoin d’en avoir chez soi. On va le chercher quand on ne se sent pas bien. C’est vraiment une démarche différente.

DR : Est-ce que, comme dans les autres addictions, il y a un syndrome de sevrage ?

PM : Quand on a défini le sevrage, on l’a défini par rapport à l’alcool au départ, donc il y avait des signes de manque physique. Mais le sevrage, ce n’est pas forcément des signes de manque physique, par exemple quand on est accro à internet, quand on arrête de jouer, il n’y a pas de signe physique, il y a ce qu’on appelle des signes psychologiques qui sont la mauvaise humeur, l’irritabilité, la nervosité. Quand vous rentrez chez vous le soir et que vous avez choisi de ne pas manger le morceau de fromage qui vous calme, vous allez voir dans quel état vous êtes. C’est ce que décrivent les patients, s’ils mangent de façon compulsive à certains moments, c’est justement pour éviter cette nervosité. S’ils ne mangent pas, ils peuvent avoir cette nervosité.

Poser le diagnostic, déculpabiliser, bien comprendre

DR : Qu’est-ce que vous dites à un patient qui vient vous voir et qui vous dit : « je suis addicte, aidez-moi. »

PM : Les patients viennent rarement nous dire qu’ils sont addictes, mais ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils ne comprennent pas pourquoi ils n’arrivent pas à arrêter de manger. Ils savent bien qu’il faudrait, mais ils n’y arrivent pas. Alors déjà la première chose à faire, c’est de les déculpabiliser et de leur expliquer que c’est normal qu’ils n’y arrivent pas, que ce n’est pas leur faute, et de leur expliquer le circuit de la récompense, l’addiction. Et déjà de mieux comprendre ce qui leur arrive, ça les soulage.

DR : Savoir qu’on est malade, c’est déjà un premier pas vers la guérison ?

PM : Je pense que l’on ne traite bien que ce que l’on comprend. Les patients arrivent, ils ne comprennent pas pourquoi ils ne réussissent pas à s’empêcher de manger. Ils pensent que c’est une question de volonté, on n’arrête pas de leur dire « mange moins », « ne te resserre pas », « quand on veut on peut », donc ils sont dans un étau dont ils ne savent pas comment se sortir. Déjà, de poser un diagnostic « oui, vous souffrez d’addiction alimentaire », d’ailleurs ils y pensaient mais ils n’osaient pas le dire, on leur explique et déjà il y a un poids qui tombe.

DR : Est-ce qu’on peut guérir d’une addiction alimentaire ?

PM : Poser le diagnostic, déculpabiliser, bien comprendre ce qui se passe, oui, aujourd’hui avec une prise en charge adaptée on peut sortir de l’addiction alimentaire.