Blog

En quête de sensations fortes : l’addiction pousse-t-elle au toujours plus ?

cocaine_b2139bd2f4
Actualité des addictions

En quête de sensations fortes : l’addiction pousse-t-elle au toujours plus ?

Existe-t-il des passerelles entre les addictions ? Les consommateurs de drogue vont-ils toujours plus loin pour maintenir un niveau de sensation stable ?
Atlantico : Il y a cette idée répandue que l’addiction entraîne l’addiction, que le phénomène s’auto entretient et s’accroît, dans une logique du toujours plus. Qu’en est-il ?
William Lowenstein : Il faut d’abord définir ce qu’on appelle addiction en France. Souvent on utilise addiction pour dire dépendance. Alors que l’addiction se compose de trois phases : usage, abus et dépendance. L’usage c’est la rencontre d’un produit et la découverte de ses bénéfices initiaux : euphorie, désinhibition, favoriser le sommeil ou l’énergie, etc. Le cerveau va l’enregistrer comme étant un état dans lequel il est « mieux ». Quand quelque chose active notre circuit de récompense, il a tendance à recommencer. Quand il passe dans l’abus, les effets négatifs se manifestent : gueule de bois, danger, etc. c’est au fil des abus que les changements cellulaires conduisant à la dépendance se produisent, dérégulant le sommeil, l’appétit, la sexualité, etc. Selon les substances, les risques de dépendance ne sont pas les mêmes. Pour la plupart des substances 85 à 90 % des consommateurs ne recommenceront. Pour l’alcool, le cannabis et la cocaïne, c’est 15% qui recommenceront. Et pour des drogues encore plus fortes, comme la nicotine, l’héroïne ou les benzodiazépines, l’indice addictogène est plus élevé (entre 40 et 60%). Dans la dépendance, on ne va pas forcément chercher plus, mais on va vouloir éviter d’être moins.

Existe-t-il des passerelles entre les addictions ? Est-on plus à risque de tomber dans d’autres drogues si on est consommateurs de cannabis ?
Cela fait partie des choses que l’on a beaucoup entendu, cru, mais que l’addictologie, la sociologie et autres tendent à démonter. L’effet passerelle n’est pas celui qu’on croit. « Ce n’est pas parce qu’on fume un œuf qu’on s’injecte un bœuf ». Ce qui fait passer le passage du cannabis à d’autres drogues, ce n’est pas la drogue en soi mais les caractéristiques individuelles de fragilité ou environnementale qui peuvent le favoriser. La multiplication des dealers poly-casquettes par exemple. Il est curieux, d’ailleurs que la question qu’on se pose pour le cannabis ne se pose pas pour l’alcool. Est-ce qu’il y a un passage de l’alcool à d’autres drogues dures ? La réponse est non. Selon les pays, nous ne sommes pas exposés majoritairement aux mêmes drogues : l’alcool en France, la coca en Amérique du sud, les amphétamines et l’opium en Asie, le cannabis en Afrique du nord.

Quels sont les déterminants qui peuvent constituer un terrain propice ?
Longtemps, cela a été les vulnérabilités reposant sur les traumatismes de l’enfance, les violences sexuelles subies, l’abandon, etc. Progressivement, nous voyons les travaux apparaître qui témoigne d’un lien entre hyperactivité, hyper sensibilité et vulnérabilité aux drogues. C’est passé d’une maladie de l’hypo à une maladie de l’hyper. Evidemment les deux profils cohabitent.

Nous ne sommes donc pas tous égaux devant le risque d’addiction ?
Il y a deux inégalités. D’une part les inégalités territoriales et les caractéristiques propres, héréditaires ou acquises que nous venons d’évoquer. Et d’autre part, il y a aussi une forme d’inégalités intra-individuelle. Nous ne sommes pas tous perméables aux drogues de la même manière selon les périodes de nos vies. Il y a d’abord une vulnérabilité de l’adolescence, période entre curiosité et mal-être. Et plus tard les effets de certains évènements, deuil, chômage, etc. On va alors consommer pour oublier ce qui fait mal et calmer la douleur. Et aussi, inversement, des moments où tout s’accélère et où on cherche une aide extérieure pour maintenir le rythme. Rentre aussi en jeu l’information sur les substances.
Et évidemment, selon les raisons qui poussent à consommer, la sévérité de l’addiction et la difficulté de s’en sortir seront différentes. Ce n’est pas la même chose d’être addict depuis 3 ans que depuis 40 ans. Et indépendamment, certains vont être dépendants mais en contrôle quand d’autres seront dans une forme de boulimie dépendante.

Quand l’on consomme du porno, va-t-on être attiré par du contenu de plus en plus « hard » à force d’accoutumance ?
Pas nécessairement. Certains vont être dans la répétition du mode d’emploi, comme dans l’acte sexuel. Et rester toutes leurs vies sur les mêmes pratiques, dans la vraie vie ou dans le visionnage de porno. Mais d’autres vont être dans le plus. Une fois qu’ils ont vécu une excitation, elle devient moindre au fil du temps, ce qui amène à vouloir voir autre chose.

En définitive, la logique du toujours plus existe mais n’est pas la plus répandue ?
Elle n’est en tout cas pas automatique. Nous sommes dans une société de consommation où tout s’est accéléré, l’usage de porno, de drogue est facilité. La société encourage l’usage, elle tolère l’abus. Les dépendants sont un peu perçus comme les « losers » de l’histoire et on ne s’en occupe pas ou pas suffisamment.

Source : Atlantico