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Trafic de cannabis : Les Français toujours champions d’Europe !

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Actualité des addictions

Trafic de cannabis : Les Français toujours champions d’Europe !

Trafic de cannabis : Les Français toujours champions d’Europe !

Invité à témoigner et partager son éclairage dans le Parisien du Lundi 20 Septembre 2021, le Dr William Lowenstein.

 


TRAFIC DE CANNABIS : Faut-il s’attaquer aux clients?

Proportion des habitants européens ayant déjà consommé du cannabis au cours de leur vie. Population âgée de 15 à 64 ans.

La France est leader de la consommation de résine de cannabis en Europe. On fume dans tous les milieux et à tous les âges. À l’autre bout de la chaîne, le business dopé par cette demande est florissant mais aussi mortifère.

DAMIEN DELSENY ET JEAN-MICHEL DÉCUGIS

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PEU HABITUÉE aux podiums dans les classements européens, la France se passerait sans doute bien de cette place de leader : nous caracolons en effet en tête du classement des consommateurs de résine de cannabis. Une France qui fume, donc. Beaucoup. À tous les âges et dans tous les milieux. Qu’on soit chômeur, étudiant, cadre supérieur, ouvrier, policier, gendarme ou journaliste, qu’on habite dans le XVIe à Paris ou dans un village de l’Aisne, le joint est partout. Près d’un million de consommateurs quotidiens de cannabis et 18 millions qui l’ont déjà expérimenté. Ces chiffres font ainsi gonfler la demande. Et à l’autre bout de la chaîne, le business de l’offre tourne à plein régime. Les « fours » des cités de Marseille ou de Seine- Saint-Denis affichent des chiffres d’affaires quotidiens vertigineux et toutes les villes moyennes ont aussi leurs PME ou même de petites multinationales du shit.
Des amendes de 200 €
Les autorités tentent de juguler le trafic. Des tonnes sont saisies chaque année, 86 l’année dernière, des réseaux tombent tous les jours mais ils renaissent aussitôt. La concurrence est rude, impitoyable, et les entrepreneurs du cannabis ne règlent pas leurs contentieux devant le tribunal de commerce. Les kalachnikovs crachent leurs balles et on peut être fauché à 17 ans par une rafale ou carbonisé dans un coffre de voiture pour une histoire de territoire et de zone de chalandise. De l’avis des spécialistes, la guerre contre le trafic est perdue. Constat terrible. « On vide l’océan à la petite cuillère depuis des années, soupire un patron de la lutte antidrogue. Il est vain d’agir sur l’offre, sur ces tonnes produites à ciel ouvert et en parfaite connaissance de cause au Maroc, si on ne fait rien sur la demande. »

Depuis le 1e r septembre 2020 ont été lancées les amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui visent à réprimer les consommateurs. Le tarif, c’est 200 €, ramené à 150 € si le paiement intervient rapidement. D’après des chiffres du ministère de l’Intérieur, il y a eu 100 000 AFD adressées en un an, soit 270 par jour. 60 000 rien que depuis le 1er janvier. Place Beauvau, le bilan est jugé « considérable », d’autant que 40 % sont payées « rubis sur l’ongle ».
« Il faut continuer à s’attaquer au portefeuille des consommateurs, réagit un ex-officier des stups du 36. L’amende doit être calculée en fonction de la quantité de marchandise et des récidives. » Un commissaire divisionnaire qui a opéré dans le sud de la France renchérit : « Il faut savoir ce que l’on veut. Les cités ne doivent pas être des supermarchés de la drogue. C’est nous qui devons mettre en place à l’entrée des cités des check points, et non pas les dealers.
On connaît les horaires des consommateurs : 15 heures- 17 heures. Ils vont acheter leurs barrettes dans la cité comme ils vont acheter leurs baguettes à la boulangerie. Si on agit ainsi, on empêche le gros de la vente. Il faut sécuriser les cités comme on le fait pour les résidences privées. »
 
Des problèmes sociaux, éducatifs et sanitaires
Certains plaident aussi pour une augmentation significative de l’amende : « Aujourd’hui, c’est à peine plus qu’une prune de stationnement, s’agace un officier des stups. Il faut taper plus fort aussi parce qu’il existe une totale impunité chez les consommateurs. Ils viennent acheter quelques grammes comme ça, en cinq minutes. Et encore, quand ils ne se font pas livrer à domicile. Pendant ce temps, des quartiers vivent sous coupe réglée et des mômes de 14 ans font les choufs plutôt que d’aller à l’école. Réprimander les consommateurs, c’est leur ouvrir les yeux sur la réalité des conséquences de leurs achats. »
En plus d’alimenter un business criminel, la consommation massive de cannabis en France pose des problèmes sociaux, éducatifs et sanitaires. Un haut fonctionnaire estime ainsi qu’il faudrait mettre en place « des tests salivaires dans les lycées pour les élèves et, pourquoi pas, pour les profs. Si les parents apprennent que leurs enfants sont positifs au cannabis quand ils vont à l’école le matin, peut-être qu’ils agiront. » Depuis plusieurs années, le shit fumé en France est de surcroît beaucoup plus fort, surdosé en THC, la molécule active du cannabis. « On nous dit que le cannabis tue moins que le tabac et l’alcool qui sont en vente libre, mais les ravages sont devant nous », estime ce même haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.
Tant qu’il y aura des fumeurs, il y aura des vendeurs. Cette tautologie impose donc d’agir des deux côtés de la chaîne. Longtemps étiqueté comme « drogue douce et récréative », le cannabis reste un produit interdit en France. Son trafic continue de gangrener des quartiers et des villes. Alors, faudra-t-il le légaliser ? Le débat existe depuis des années. Sa répression est en tout cas un échec évident. Cette place de leader européen de la consommation de cannabis en est la preuve implacable.
 


 

TÉMOIGNAGES | « Je fume seul, avec ma compagne, des amis… Ça m’apaise »

JEAN-MICHEL DÉCUGIS ET DAMIEN DELSENY

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Fréquence
de consommation du cannabis par mois

PIERRE A 54 ANS. Il exerce une profession libérale. « J’ai commencé à fumer du shit il y a moins de dix ans. Je n’avais jamais réellement fumé avant. J’ai commencé après avoir arrêté le tabac. Je n’ai jamais repris les clopes, mais je fume quasiment tous les soirs : un joint, un demi-joint… Seul, avec ma compagne, des amis… Ça m’apaise, me délasse », nous raconte celui qui « préfère fumer que boire de l’alcool ».
« C’est une façon d’appréhender la vie, d’être avec les autres, avance-t-il encore. Certains ont arrêté, d’autres continuent. On fume pour mieux être ensemble. On fume par plaisir, pour rire, pour faire l’amour… Autour de moi, on a tous des grands enfants. Certains fument, d’autres pas. On leur a expliqué les dangers de fumer quand on est mineur ou jeune adulte, que la consommation fonctionne mal avec l’école. Il faut en parler, mettre en garde mais surtout ne pas se cacher. La prévention contre la drogue est très mal faite en France. On l’a bâtie sur la culpabilisation, sur le mensonge. J’ai un ami dentiste qui fume avant de soigner, un ex-pilote de ligne sur Air France qui fumait lors de ses vols, un prof de fac de droit qui fume après les cours avec certains de ses élèves. »
Se sent-il un maillon de la chaîne qui aboutit aux règlements de comptes ? « Bien sûr, les gamins de 15 ans qui s’entre-tuent avec des kalachnikovs, la guerre des cités, tout ça est dramatique. Mais ce n’est pas la faute des consommateurs, ils ne nous culpabiliseront jamais avec ça. On a laissé les cités s’enkyster dans les trafics pour acheter la paix sociale. »
 
« C’est le pastis des jeunes »
Antoine*, 21 ans, est étudiant dans le sud de la France : « Depuis le lycée, je n’ai autour de moi que des potes qui fument. Souvent, après le bac, en trouvant un boulot, ils décrochent ou ne fument plus qu’occasionnellement, mais d’autres continuent, comme s’ils fumaient des cigarettes. C’est le pastis des jeunes. Nos parents prenaient l’apéritif, nous, on roule un joint. »
Quel rôle jouent les consommateurs comme lui dans le business mortifère du shit ? « Comme on achète souvent des petites quantités, on ne se rend pas compte. On sait qu’on achète un produit interdit mais on ne se sent pas délinquant. Donc, quand on voit des règlements de comptes, on se dit que c’est l’affaire des criminels, pas la nôtre. »
*Le prénom a été changé
 

 

L’EXPERT | Un addictologue contre la prohibition

WILLIAM LOWENSTEIN, médecin interniste et addictologue, président de SOS Addictions, n’est nullement surpris de retrouver la France au rang de championne d’Europe de la consommation de«shit». Il appelle à un changement total de politique.

PROPOS RECUELLIS PAR YVES LEROY
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Le Parisien : La place de leader de la France en matière de consommation de résine de cannabis vous surprend-elle ?
William Lowenstein : Hélas non. Depuis quarante ans nous n’avons pas de politique d’information et de prévention des risques. Dans les années 1980 et 1990, dans un contexte d’épidémie du sida, la priorité a logiquement été donnée à la lutte contre des substances comme l’héroïne, surtout injectée. Et à partir des années 2000, alors que les consommations avaient déjà explosé chez les jeunes, le réflexe a été la prohibition contre-productive. Il n’y a eu qu’une seule campagne nationale depuis 2006. Depuis, il n’y a rien eu de constructif. La campagne récente, dite de prévention, est une campagne moralisatrice qui impacte peu.
Le Parisien : Quels sont les dangers réels du cannabis ?
William Lowenstein : C’est problématique sur un cerveau en développement, c’est-à-dire avant 18 ans pour les plus optimistes, 21 ou 25 ans pour les plus pessimistes. Un usage précoce sur une soirée peut déboucher sur des bouffées d’angoisse sévère. Un usage intensif, entre 4 et 8 joints par jour entre 13 et 17 ans, va nuire au développement du cerveau, avec des conséquences sur la concentration, la relation avec autrui, la perception de la réalité du monde. Chez les adultes, une consommation récréative, raisonnable, n’a pas trop de conséquences néfastes sur le cerveau, mais cause des risques liés à la combustion, sans oublier la conduite, où le cocktail alcool plus cannabis est très dangereux. Le sevrage n’est pas aussi dur que celui de l’alcool ou de l’héroïne, plutôt comparable à celui du tabac.

Le Parisien : Peut-on tarir la consommation par des amendes plus sévères et répétées ?
William Lowenstein : La répression n’a fait qu’enrichir et professionnaliser les réseaux mafieux, sans diminuer la consommation globale. Taper sur le consommateur ne change rien, comme le démontre aussi la prostitution. On parle de millions de personnes, alors qu’on n’est pas capable de régler le problème lié à 300 consommateurs de crack dans un coin de Paris.
Le Parisien : Est-ce que moins de gens souffriraient des méfaits du cannabis s’il était légal ?
William Lowenstein : Je n’en suis pas sûr, mais si on continue comme ça, on ne va rien arranger. Je souhaite un moratoire de cinq ans avec une régulation de la consommation, à condition que ce soit associé à des campagnes d’information et de formation. Il faut penser les choses en termes de diminution des risques et pas en noir ou en blanc.
Le Parisien : Légaliser ne revient-il pas à dire ce n’est pas dangereux ?
William Lowenstein : C’est d’abord parvenir à parler des difficultés, de la perte de contrôle, et pouvoir faire de la prévention. L’erreur principale consiste à penser que la prohibition protège.