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Cannabis, de la dépénalisation à la légalisation : les réflexions du Dr Bertrand Lebeau

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Sex, drugs and rock'n roll

Cannabis, de la dépénalisation à la légalisation : les réflexions du Dr Bertrand Lebeau

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Chers amis,
Il s’est passé bien des choses ces dernières 48 heures pour celles et ceux qui s’occupent de « drug policy » et d’addictions. Tout d’abord le colloque organisé au Sénat par Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne, Didier Jayle, professeur au CNAM et Henri Bergeron, professeur à Science Po, colloque qui fut brillamment conclu par notre cher Président, William Lowenstein.
Je n’ai assisté qu’à l’après-midi et j’ai donc entendu la présentation de l’économiste  Christian Ben Lakhdar (1) L’une de ses diapos m’a désolé. J’en reproduis le sens qui était, malheureusement, très clair : le seul intérêt (ou l’intérêt majeur) de la décriminalisation de l’usage est qu’il profite aux mafias. On connaît bien cette théorie puisqu’elle a toujours été défendue par Francis Caballero, auteur du magnifique « Droit de la drogue » chez Dalloz, et pour qui une seule ligne prévaut : la légalisation sinon rien ! Pour lui la dépénalisation de l’usage est un piège : elle ne change rien en matière de trafic et donc de corruption et de violence (ce qui est vrai), et pourrait même être pire. Je ne vais pas entamer ici le débat sur le « modèle portugais » mais je constate avec tristesse que, désormais, les rares économistes qui, comme nous, sont favorables à la légalisation du cannabis ne peuvent même pas imaginer que la dépénalisation  de l’usage et le développement du cannabis médical ont, partout ou presque, été des propédeutiques à la légalisation.
Ils espèrent donc que dans un des pays les plus immobiles d’Europe en matière de marijuana, on va directement passer, grâce à leurs lumineuses théories et à leur sérieux académique, de la loi de 70 à la légalisation du cannabis récréatif en sautant à pieds joints les cases décriminalisation et cannabis médical. Je souhaite qu’ils aient raison ! Et qu’ils vont vite trouver les politiques qui mettront en œuvre la légalisation. Après tout, la France est un pays qui, faute de faire des réformes, fait parfois des révolutions pour rattraper le temps perdu… Mais c’est un pari bien risqué et qui oublie complètement les usagers.
Marisol Touraine, qui fait partie du premier cercle hollandais accorde à Libération (11 octobre 2016) un entretien à l’occasion de l’inauguration de la première SCMR (salle de consommation à moindre risque) gérée par l’association Gaïa à l’hôpital Lariboisière à Paris. Elle en profite, forcément avec l’aval du Président,  pour déclarer à propos du cannabis : « A l’évidence, un débat sur cette question s’impose, mais un débat de santé publique ». Cette « évidence » est délicieuse ! Elle va faire plaisir à Vincent Peillon, Cécile Duflot et Daniel Vaillant entre autres.
Le débat de santé publique se présente ainsi : « Dire, comme le prétendent certains, que la consommation ne comporte aucun risque et qu’une évolution s’impose pour des raisons d’ordre public, cela me paraît irresponsable, et surtout cela ne règle pas le problème de santé publique. Comme ministre de la Santé, je veux qu’un débat ait lieu. On ne peut pas dénoncer les effets du tabac ou de l’alcool et ouvrir le marché du cannabis. La question de la nature de la sanction doit être posée, en lien avec le renforcement des politiques de prévention ».
Même parmi les plus farouches cannabinophiles, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soutienne que « la consommation ne comporte aucun risque ». Cet argument ne vaut rien, pas un clou ! Le second argument est moins nul mais très spécieux : il serait donc possible d’ouvrir le débat sans même évoquer l’économie souterraine, la violence liée au trafic, la corruption qu’il génère. Même si on est, comme Marisol Touraine, obsédé par la santé publique, raison pour laquelle elle ne compte pas les morts liés au trafic et se contente du cannabis frelaté, coupé à la poudre de verre ou à l’huile de vidange que fume notre jeunesse (2), ce qu’elle propose n’est pas raisonnable et, à mon humble avis, elle le sait. Vient enfin le troisième argument. C’est le plus puissant dont disposent les prohibitionnistes. Elle le connait, preuve qu’elle a travaillé le dossier : Quoi ! Deux drogues légales, le tabac et l’alcool,  tuent des dizaines de milliers de personnes chaque année, probablement d’ailleurs parce qu’elles sont légales, et vous voulez y ajouter un troisième poison ? Ca va pas la tête !
Il faut prendre au sérieux cet argument et y répondre. Il est vrai que l’association alcool + cannabis est problématique. Mais en dehors de sa toxicité broncho-pulmonaire, au moins équivalente au tabac, la dangerosité du cannabis est faible (pas nulle) et je crois que Marisol Touraine devrait jeter un œil à la classification issue du rapport Roques en 1998 et celle plus récente de Nutt en 2010.
Ensuite, le modèle légal du tabac ou de l’alcool n’est absolument pas satisfaisant et ses excès sont si bien identifiés que tout ce qui a été fait ces dernières années, à commencer par la loi Evin, visait à en atténuer les aspects les plus caricaturaux : promotion publicitaire éhontée, droit de fumer du tabac partout… Pourquoi le modèle de légalisation du cannabis devrait-il être aussi stupide ? Peut-on imaginer trois toxiques légaux consommés par de nombreux citoyens avec un zeste d’intelligence et un soupçon de modération ? Avoir des politiques plus dures en matière de tabac et d’alcool tout en ouvrant un marché régulé au cannabis : voilà la bonne option ! La seule qui réconcilie les droits de l’Homme, la santé publique et la sécurité publique. Bref, on peut parfaitement dénoncer les méfaits du tabac et de l’alcool et militer pour la légalisation du pot !
Afin de me détendre un peu après toutes ces émotions, j’achète mon quotidien vespéral favori en date donc du mercredi 12 octobre 2016. Et j’y trouve un article intitulé : « Essai clinique à Rennes : l’ANSM mise en cause. » On y lit qu’un comité d’experts réuni par l’ANSM a rendu, sur cette affaire, un rapport le 18 avril 2016. Et là, tenez vous bien ! Le comité « signalait une toxicité retrouvée dans les quatre espèces animales chez lesquelles le BIA 10-2474 avait été initialement testé à très fortes doses et notamment les effets nocifs sur le système nerveux central, analogues à ceux du principe actif du cannabis, le THC ». !!! Ce « analogue » est admirable ! Et l’on comprend parfaitement, grâce à cette lumineuse explication, le désastre qu’a été cet essai.
Je me résume : en l’absence de l’Académie Nationale de Médecine, c’est bien le groupe d’experts de l’ANSM qui gagne haut la main et sans la moindre discussion. Ce serait lui faire injure que de le comparer à Marisol dont Libé note néanmoins qu’elle est « crispée » sur la question du cannabis. Quant à Christian Ben Lakhdar, il est notre ami même si, sans le réaliser peut-être, il rend notre combat plus difficile.
Docteur Bertrand Lebeau
 
(1)Il vient de publier avec Jean-Michel Costes, dans le cadre du think tank Terra Nova, un document très intéressant intitulé « Contrôler le marché légalisé du cannabis en France, l’exemple fondateur de l’ARJEL ».  L’Arjel est l’Autorité de régulation des jeux en ligne. Jean-Michel Costes a été le premier responsable de l’OFDT (1993-2011) avant de se faire virer parce que, lors de l’expertise Inserm sur la réduction des risques infectieux (2010), il avait clairement pris position pour les salles de consommation à moindre risque (SCMR) auxquels le Premier Ministre François Fillon était opposé.
(2) Philippe Pujol, « La fabrique du monstre, 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inégalitaires de France », Editions des Arènes, 2016.

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