Phyto et endocannabinoïdes : à propos du drame de Rennes
16 janvier 2016 2016-01-16 11:28Phyto et endocannabinoïdes : à propos du drame de Rennes
Ce vendredi 15 janvier au matin, un journaliste m’appelle et me demande ce que je pense de « l’affaire de Rennes ». Je ne sais pas de quoi il parle et lui demande de m’expliquer. Il me dit que dans un essai de phase I portant sur une dizaine de volontaires sains, une personne est en état de mort cérébrale tandis que plusieurs autres sont hospitalisés dans un état inquiétant. Et il ajoute : « C’est un médicament à base de cannabis ou de cannabinoïdes ». Je tombe des nues ! Il aura donc fallu attendre 2016 pour que le cannabis tue ! J’explique au journaliste qu’à ma connaissance, un tel événement n’est jamais survenu nulle part et quel que soit le type d’essai. Je lui dis que seule existe actuellement une ATU nominative pour le Marinol, un THC de synthèse, et que l’on attend toujours le Sativex, un spray de THC et CBD qui aura pour indication les contractures douloureuses dans la sclérose en plaques. J’évoque, pour le principe, les cannabinoïdes de synthèse vendus en particulier sur Internet mais, même dans ce cas, on a décrit des accidents psychiatriques : anxiété, panique… rien qui soit de la gravité de ce qui s’est passé à Rennes.
Durant l’après-midi, j’écoute les infos qui expliquent que la substance en cause est bien du cannabis ou un cannabinoïde. Et puis un autre journaliste me fait savoir qu’il s’agirait, en réalité, non pas d’un phyto mais d’un endocannabinoïde (EC), ce que confirme Marisol Touraine dans sa conférence de presse. Qui a commis la boulette ? L’ANSM ? Le parquet de Paris ? Les médias ? Mystère.
Mais, à partir du moment où il s’agit d’un EC, on est en terrain un peu moins glissant et on peut faire quelques hypothèses. Le premier EC a été isolé au début des années 90 par le chimiste israélien Raphael Mechoulam, celui là même qui avait isolé le THC en 1964. Aujourd’hui on en connaît plusieurs autres mais il existe un mystère concernant le système EC et qu’on peut grossièrement résumer ainsi : ces EC se lient à deux types de récepteurs CB1 et CB2. Les récepteurs CB1 sont présents dans le SNC, les CB2 dans le reste de l’organisme en particulier dans la rate et semblent en interface avec le système immunitaire. Mais les récepteurs CB2 sont plus nombreux qu’aucun autre récepteur dans le corps humain et on connaît fort mal leur rôle et leur fonction. Il est possible que cette interaction EC/CB2 mal maîtrisée soit à l’origine du drame de Rennes. Cela signifie aussi que l’étude de cet EC sur des modèles animaux n’avait rien montré d’inquiétant. Il est possible aussi que l’on ait voulu aller trop vite alors que les connaissances tant sur les EC que les récepteurs CB1 et surtout CB2 sont encore fragmentaires. L’enquête répondra peut-être à ces questions.
Quoi qu’il en soit, les complotistes qui annonçaient déjà que toute cette affaire visait directement le professeur Bertrand Dautzenberg et ses récentes et cannabinophiles déclarations en sont pour leurs frais !