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les drogues psychédéliques (psilocibyne, LSD, MDMA..) font doucement leur retour dans la pharmacopée…

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Actualité des addictions

les drogues psychédéliques (psilocibyne, LSD, MDMA..) font doucement leur retour dans la pharmacopée…

Apres leur bannissement dans les années 70, les drogues psychédéliques (psilocibyne, LSD, MDMA..) font doucement leur retour dans la pharmacopée, grâce notamment à la fondation privé MAPS,
Deux articles sélectionnés par Pierre Chappard Coordinateur du Réseau Français de Réduction des Risques et Président de PsychoACTIF.
 

La psychothérapie psychédélique est de retour

M le magazine du Monde | 12.03.2015 à 10h40 • Mis à jour le 12.03.2015 à 10h42
Mescaline, ecstasy, psilocybine soigneront-ils la dépression, l’angoisse, l’autisme ou l’alcoolisme ? Des psychiatres américains explorent le potentiel thérapeutique de ces substances illicites.
Par Stéphanie Chayet
Engourdissement, d’abord. Puis grande fatigue, bâillements. Des images, très abstraites, comme de l’art moderne. Des motifs. Image d’un chat en train de mordiller le câble de freinage d’un vélo. Après ça ? Sentiment de ne pas ­m’aimer. Pas du tout. Puis je me demande : pourquoi je ne m’aimerais pas ? Il n’y a aucune raison. »
Ainsi commence, mot pour mot, le « compte rendu d’expérience subjective » rédigé par la patiente numéro 13 au lendemain de son traitement. Quatre pages de notes serrées, frénétiques, parfois illisibles, où il est aussi question de « connexion universelle entre les choses », de « deux têtes de vaches en papier mâché » et de « l’intensité d’être en vie ».
Deux ans plus tard, assise dans un café de Brooklyn, Gail Thomas parle encore de ­l’expérience au présent. « A un moment, je vois l’esquisse d’une table ronde, divisée en quartiers, comme une pizza, en noir et blanc. Je suis en surplomb. Mon cancer est à table. Mes parents, mes amis (enfin leur essence) sont à table. Je  comprends qu’ils tiennent à moi. Je le savais, mais là, je le comprends. Profondément. » Pendant que son esprit vagabondait, cette avocate new-yorkaise était étendue, les yeux bandés, dans un hôpital de Manhattan, avec une symphonie de Philip Glass dans les oreilles et deux chercheurs à son chevet. A 9 heures du matin, elle avait avalé une forte dose de psilocybine, la principale molécule active des champignons hallucinogènes.
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Menée par une équipe de l’hôpital de l’université de New York (NYU) sur vingt-neuf patients atteints de cancers, l’étude visait à déterminer si cette drogue, illicite aux Etats-Unis comme dans la plupart des pays occidentaux, pouvait, à l’appui d’une psychothérapie, soulager leur anxiété mieux qu’un placebo.
En rémission d’un double cancer, Gail Thomas, qui pensait tous les jours à la mort et se sentait « coupée du monde » et « perpétuellement sur ses gardes », avait été adressée à l’équipe de recherche par son infirmière. « On m’offrait quatre mois de psycho­thérapie, et peut-être le premier “trip” de ma vie. Avec sa veste en tweed et son air de prof intello, Steve inspirait tellement confiance que j’ai dit oui immédiatement. »
Transcendance et amour universel
La quarantaine chic, Steve Ross, l’intéressé, nous reçoit dans le laboratoire de l’hôpital Bellevue où il recrute actuellement des volontaires pour une prochaine étude sur la psilocybine et l’alcoolisme. Un laboratoire, ou plutôt un boudoir, avec statues de Bouddha, livres de philosophie et coussins brodés, « une pièce ­inhabituelle dans l’univers de la psychiatrie », dit-il.
Les cobayes sont invités à y apporter des objets personnels le jour du traitement. En cas de « mauvais trip », les médecins tiennent un antidote à leur disposition (du Zyprexa, un antipsychotique). Jusqu’ici, personne ne l’a jamais demandé. « Un tiers des patients ressentent des angoisses passagères, mais on les prépare à affronter leurs peurs, car c’est propice à la guérison », indique le psychiatre. « En général, ils “rencontrent” leur cancer soit en voyageant à l’intérieur de leur corps, soit sous une forme ­symbolique, comme un nuage noir. Certains font l’expérience de leur mort, un peu comme une répétition générale. La plupart découvrent une forme de transcendance ou d’amour universel. »
Les résultats de son étude ne seront publiés qu’à la fin de l’année, mais le chercheur dit avoir constaté « une baisse immédiate et durable » de l’anxiété dans le groupe traité à la psilocybine. « Certains disent qu’ils n’ont plus peur de mourir. »
Des drogues faiblement addictives
Peut-on soigner avec des drogues hallucinogènes ? Utiliser du LSD pour apaiser la détresse des mourants ? De lakétamine pour adoucir des dépressions résistantes ? Du MDMA (ou ecstasy) pour combattre le stress post-traumatique ?
Steve Ross fait partie d’une petite communauté de psychiatres qui cherchent des réponses à ces questions, orchestrant, depuis les meilleures institutions hospitalo-universitaires américaines (NYU, Johns Hopkins, Mount Sinai, UCLA), la renaissance d’une pratique encore taboue dans le reste du monde.
En Europe, seules la Suisse et la Grande-Bretagne mènent des essais cliniques sur ces psychotropes. En revanche, l’intérêt monte en puissance en Amérique du Nord : selon la fondation MAPS (Association multidisciplinaire pour des études sur les substances psychédéliques), une structure californienne militant pour l’évaluation scientifique des hallu­cinogènes, jamais autant de ­chercheurs n’ont travaillé sur le sujet depuis quarante ans.
Dans un éditorial de janvier, The Lancet, la revue médicale britannique de référence, plaidait pour une plus ample exploration du potentiel thérapeutique de ces drogues « sans dangers physiologiques et très faiblement addictives ». Leur usage psychiatrique n’est pas nouveau. En 1964, un chercheur de l’école de médecine de Chicago nommé Eric Kast avait déjà constaté que les malades en phase terminale développaient, après une prise unique de LSD, « une curieuse indifférence à la gravité de leur condition », et « parlaient de leur mort imminente avec un ­détachement des plus bénéfiques ».
L’époque des psychanalyses sous LSD
Synthétisé fortuitement par le chimiste suisse Albert Hoffman au début des années 1940, l’acide lysergique diéthylamide, qui appartient à la même famille que la psilocybine, est alors légal et ­largement disponible. Dans les années 1950 et 1960, le gouvernement fédéral dépense 4 millions de dollars pour financer 116 études sur ses vertus thérapeutiques, sans compter celles, toujours classées secret défense, sur son potentiel d’arme chimique.
Des stars comme Esther Williams et Cary Grant se font analyser sous LSD à ­Hollywood. Partout, on teste les hallucinogènes sur des dépressifs, des obsessionnels, des autistes, des schizophrènes, des mourants. « Des milliers d’alcooliques ont été traités de manière expérimentale, avec des résultats prometteurs, ajoute Steve Ross. Une seule dose, et ils étaient sobres pendant des mois. C’était une époque passionnante pour la psychiatrie. »
Une époque un peu folle, aussi. Limogé de Harvard pour avoir donné de la psilocybine à ses ­étudiants, le psychologue ­Timothy Leary, bientôt décrit par Richard Nixon comme « l’homme le plus dangereux d’Amérique », devient le symbole de ces excès. Quand tou­te la jeunesse américaine se met à « tripper », le président siffle la fin de la récréation. Adopté en 1970, le Controlled Substances Act inscrit tous les hallucinogènes au tableau des psychotropes « sans valeur thérapeutique » et « présen­tant un risque grave pour la santé publi­­que », une nomenclature qui sera reprise en 1971 par la convention internationale sur les stupéfiants de l’ONU. La « guerre contre les drogues » a commencé.
Au moment de cette mise à l’index, David Nichols entame son doctorat de neurochimie à l’université de l’Iowa. Ses travaux portent sur la mescaline, principe actif du peyotl, un petit cactus mexicain sans épines dont l’ingestion rituelle par les Amérindiens remonte à 3 000 ans.
Le soutien de la Silicon Valley
« J’ai cru que c’était la fin », raconte ce professeur émérite, aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs experts mondiaux de la chimie des hallucinogènes. De fait, la recher­che s’arrête dans toutes les universités, faute de financements. Dans le nouveau climat de panique, s’intéresser à ces molécules peut compromettre une réputation. Les hallucinogènes disparaissent des programmes des écoles de médecine. « J’ai fait toutes mes études de psychiatrie sans qu’ils soient ­mentionnés, sauf pour dire qu’ils provoquent des psychoses et des ­suicides, confirme Steve Ross. En découvrant l’ampleur des recherches dont ils ont fait l’objet, je suis tombé des nues. »
Pendant toutes ces années, David Nichols continue pourtant à les étudier, obsti­nément, à l’abri de sa chaire de pharmacologie de l’université de ­Purdue (Indiana). Dans les congrès scientifiques, des confrè­res viennent se plaindre à lui de l’arrêt des recherches cliniques. A chaque fois, il leur répond : rien ne vous empêche de continuer, il faut juste trouver de l’argent privé.
« Au début des années 1990, j’en ai eu assez de ­répéter la même chose. J’ai appelé des amis, on a décidé de lever des fonds. Ma position dans une université conservatrice du ­Midwest donnait à la cause une ­certaine légitimité. » Nichols et sa bande frappent aux portes des nouveaux magnats de la Silicon Valley, d’abord sans succès, jusqu’au jour où Bob Wallace, un employé historique de Microsoft, s’engage à leur verser 100 000 dollars par an. L’institut de ­recher­che Heffter est fondé en 1993 grâce à cette première donation.
La fondation MAPS et l’institut Heffter, respectivement dotés de budgets annuels de 2 et 1,5 millions de dollars, financent aujourd’hui la quasi-totalité de la recherche mondiale sur les hallucinogènes. David Nichols estime que la phase 3 des essais cliniques sur la psilocybine, une étude ­d’efficacité à grande échelle qui démarre cette année, coûtera 10 millions de dollars. Il n’a pas l’air inquiet. Depuis deux ou trois ans, le nombre de mécènes augmente – pour la plupart, des baby-boomers ayant amassé des fortunes dans les nouvelles technologies.
« Nous voyons même arriver les ­premiers legs », se réjouit la psychia­tre Julie Holland. Marraine officieuse de l’étude de la NYU, dont elle a trouvé le premier financement, cette praticienne éloquente a consacré une bonne partie de la dernière décennie à plaider la cause des drogues psychédéliques à la télévision. Les essais ­thérapeutiques, dit-elle, sont condamnés à dépendre de la ­philanthropie. « Jamais les “big pharmas” n’investiront un centime. Non ­seulement ces molécules sont dans le domaine public, mais elles sont efficaces en une seule prise. ­L’industrie pharmaceutique ne croit qu’à la dose quotidienne. C’est une menace pour son modèle. »
Les deux fondations aident aussi les chercheurs à obtenir les nombreuses autorisations nécessaires à l’étude d’un stupéfiant. En ­détenir dans un laboratoire requiert un permis délivré par l’agence fédérale de lutte antidrogue (DEA). Puis il faut le feu vert de l’agence du médicament (FDA) et du comité d’éthique de l’institution qui héberge la recherche.
En psychothérapie, l’ecstasy permet de revisiter les souvenirs douloureux sans être débordés par l’angoisse.
« Les démarches peuvent prendre des années, affirme Brad Burge, porte-parole de la MAPS. Il faut une patience infinie. » La fondation et  l’institut Heffter veillent en outre à ce que les chercheurs « ne répètent pas les erreurs des années 1960 », selon David Nichols. A l’époque, les études étaient anecdotiques, rarement randomisées. Des cobayes sous LSD étaient parfois laissés pendant des heures seuls et attachés. Aujourd’hui, les protocoles expérimentaux doivent être irréprocha­bles. Et il n’est plus question que la drogue s’échappe du laboratoire. A l’hôpital Bellevue, la psilocybine est enfermée dans un coffre-fort de 450 kg et pesée tous les soirs.
Une partie de la recherche actuelle se concentre sur le MDMA, molécule de synthèse plus connue sous les noms «ecstasy » ou « molly », dont la neurotoxicité reste contro­versée. Distant cousin des hallucinogènes, cet « empathogène » déclenche une libération massive de sérotonine et de dopamine, les neuromessagers du bien-être, et favorise la production d’ocytocine, l’hormone de l’attachement.
« C’est un catalyseur idéal pour la psychothérapie car les patients ­peuvent revisiter leurs souvenirs douloureux sans être débordés par l’angoisse, pour enfin les “­intégrer” », commente Julie ­Holland. Le MDMA semble ­particulièrement adapté à l’état de stress post-traumatique, un trouble qui affecte 200 000 vétérans américains : des études de l’université de Caroline du Sud sur des cohortes d’anciens combattants d’Afghanistan et d’Irak indiquent que la majorité d’entre eux ne remplissent plus les critè­res du diagnostic deux mois après le traitement (deux ou trois prises suffisent).
A l’­hôpital de l’UCLA, un autre chercheur, Charles Grob, teste actuellement la molécule sur des autistes « fonctionnels » souffrant de phobie sociale. « Autisme, troubles anxieux, troubles obsessionnels compulsifs, alcoolisme, dépressions résistantes : autant de pathologies pour lesquelles nous n’avons pas de bons traitements », souligne ce professeur de psychiatrie.
Des trips aux effets bénéfiques durables
Les fumeurs aussi pourraient bénéficier de ce modèle thérapeutique. Un ­programme pilote de sevrage de l’université Johns ­Hopkins, dont le Journal of psychopharmacology a publié les résultats en novembre, affiche un taux d’abstinence de 80 % six mois après une thérapie comportementale assistée par la psilocybine. Certes, l’échantillon est minuscule : quinze participants. Mais si ce taux de réussite se confirme, il éclipsera ceux des autres méthodes disponibles.
Pourquoi les « trips » ont-ils des effets durables ? Mystère, répondent les chercheurs. Malgré les progrès de la neuro-imagerie, le processus par lequel cet « état de conscience modifié » améliore des troubles chroniques reste à élucider. Il est possible que les expériences spirituelles ineffables aient le pouvoir, comme les expériences négatives, de modifier l’humeur, les représentations, et même le cerveau. « Il s’agirait de l’exact opposé du traumatisme, ­postule Steve Ross. Un événement assez intense pour nous changer, mais pour le meilleur. Une expérience correctrice. »
Sa patiente numéro 13 ne le contredit pas. « Mon sentiment d’aliénation n’est jamais revenu. Je me sens reliée aux autres, à la vie. Je supporte mieux le stress. Je ne me vois plus comme une ­victime. » Depuis l’étude, Gail Thomas a fait le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle est remontée sur scène pour faire du stand-up, une passion qu’elle avait négligée. Son aventure psyché­délique continue à guider sa vie, dit-elle. « C’est pour ça que j’aime en parler. A chaque fois, les bienfaits sont réactivés. »
 

LSD : le retour de l’enfant terrible

par Didier ACIER pour laviedesidees.fr
Indissociable du mouvement hippie, l’usage récréatif de LSD-25 a donné lieu à l’interdiction précoce de ce médicament. Le potentiel psychothérapeutique de l’acide lysergique diéthylamide est pourtant bien établi, notamment en matière de soins palliatifs, et l’on peut souhaiter que l’exploration scientifique et médicale de ce produit se développe à l’avenir.

Genèse d’un médicament

Printemps 1943 en Suisse, à Bâle. Albert Hoffmann, chimiste de son état, synthétise pour la compagnie Sandoz, des alcaloïdes, à partir de l’ergot de seigle. Sa recherche vise à développer de nouveaux médicaments. Alors qu’il travaille sur l’acide lysergique diéthylamide, également connu sous le nom de lysergide ou LSD-25, il est obligé de suspendre son activité. Voici la note qu’il fait suivre à son responsable :

« Vendredi 16 avril 1943, au cours de l’après-midi, j’ai été obligé d’interrompre mon travail et de rentrer à mon domicile, étant pris d’une agitation importante, accompagnée de légers vertiges. À la maison, je m’étendis et sombrai dans un état d’intoxication pas déplaisant, caractérisé par une imagination extrême. En fermant les yeux, je me sentais comme dans un rêve (la lumière du jour ayant un éclat désagréable), je voyais défiler comme dans un kaléidoscope une suite ininterrompue d’images fantastiques, de formes incroyables et d’un jeu de couleurs extraordinaires. Après deux heures, cet état disparut peu à peu. » (Hoffman, 1979).

Persuadé que c’est le LSD qui est responsable de sa condition, Hoffman décide d’expérimenter la substance sur lui-même dès le lundi suivant. Il avertit son responsable et son assistante de son expérience et planifie de tout consigner dans son journal de laboratoire. Il absorbe la plus petite quantité possible, soit 25 μg. Il va vivre alors le premier « bad trip ». Quarante minutes après l’ingestion, il se trouve incapable de continuer à écrire, à penser ou formuler une parole cohérente et rentre chez lui. Convaincu qu’il est empoisonné, il cherche à boire du lait comme antidote générique. Mais la voisine qui lui fournit les deux litres de lait lui apparait sous les traits d’une sorcière malveillante. Il sent qu’un démon d’un autre monde a pris possession de son corps et a dissous son ego. Il est convaincu qu’il va mourir et laisser seuls sa femme et ses trois enfants, heureusement absents durant cette journée. Le médecin qui arrive sur les lieux quelques heures plus tard se trouve incapable de poser un diagnostic et ne peut que constater comme tout symptôme qu’une dilatation des pupilles. Peu à peu, Hoffman reprend contact avec sa réalité quotidienne. Après une bonne nuit de sommeil, il est agréablement surpris de constater que sa routine du matin lui procure une satisfaction inhabituelle : «  The world was as if newly created  » (Hoffman, 1979).
Ce qui surprend Hoffman, c’est sa capacité à se souvenir de son expérience dans les moindres détails. Malgré l’intensité de celle-ci, sa mémoire n’a pas été interrompue et il a conservé une part de conscience lui permettant d’imputer son inquiétant et fantastique voyage à la prise de LSD,et non à une production spontanée de son cerveau. Le constat du lendemain est encore plus surprenant : il se trouve en parfaite forme physique et mentale. Suite à cet essai, plusieurs membres du laboratoire Sandoz vont répliquer cette expérience sur eux-mêmes. La recherche sur le LSD vient de commencer. Elle s’émancipe rapidement de la chimie pour impliquer les sciences du psychisme.
À l’époque, la compagnie Sandoz décide de proposer du LSD à de nombreux psychiatres, psychologues ou médecins à travers le monde, et le distribue gratuitement sous le nom commercial de Delysid. Voici des extraits de la notice d’information de ce médicament établie par le laboratoire de Bâle :

« Propriétés. L’administration de très petites doses (0.5-2 μg/kg) provoque des changements transitoires de l’humeur, des hallucinations, dépersonnalisation, réviviscence de souvenirs oubliés et des symptômes neurovégétatifs modérés. (…)
Indications. Les indications du Delysid sont de deux ordres : 1) la psychothérapie analytique, afin de favoriser l’expression de matériel réprimé et de favoriser un relâchement mental, particulièrement dans les névroses obsessionnelles et les états anxieux. (…) 2) les études expérimentales sur la nature des psychoses : en prenant du Delysid soi-même, le psychiatre est davantage capable de comprendre le monde des sensations et des idées de patients présentant un trouble mental. Le Delysid peut également être utilisé pour induire une psychose mimétique chez le sujet sain, afin de contribuer à l’étude de la pathogenèse des malades mentales.

Dès 1947, le psychiatre Suisse Werner Stoll publie une première étude qui décrit les effets du LSD sur des patients schizophrènes et des participants sains. L’engouement scientifique qui suit est remarquable : plus de 2700 publications scientifiques vont être publiées à travers le monde de 1947 à 1970 [1]. La moitié porte sur les aspects pharmacologiques et toxicologiques du produit, l’autre moitié concerne les dimensions psychiques de l’expérimentation.
À partir des années 1950 et jusqu’à l’interdiction légale du LSD, deux procédures psychothérapeutiques vont être mises en œuvre : la thérapie psycholytique, surtout en Europe, et la thérapie psychédélique, surtout en Amérique du Nord (Grof, 1979). La première vise à prescrire des petites doses, durant plusieurs séances successives et à intervalle régulier. La seconde consiste à prescrire une seule dose important afin d’induire une expérience pic, quelquefois à consonance mystico-religieuse. À l’inverse des antidépresseurs ou des anxiolytiques, qui visent à diminuer le mal-être en cachant les conflits et les problèmes du patient, l’acide lysergique diéthylamide peut les faire ressortir davantage et les rendre plus intenses. Il ne soigne pas les troubles mentaux directement, mais prend plutôt le rôle d’un catalyseur qui va rendre la psychothérapie plus rapide et plus efficiente. Le LSD sera largement utilisé afin de traiter les addictions, particulièrement la dépendance à l’alcool où il obtient un certain succès (Krebs et Johansen, 2012).

Beat Generation, hippies et LSD

Rapidement, le LSD échappe au monde médical. En 1961, Michael Hollingshead, fonctionnaire pour l’Institut anglo-américain, en commande un gramme à Sandoz, par l’intermédiaire d’un ami médecin. Cette quantité est suffisante pour fabriquer des milliers de doses individuelles. Hollingshead en consomme et en distribue à qui en demande, notamment à Timothy Leary, professeur de psychologie à l’Université de Harvard, qu’il rencontre en 1962 sur les conseils d’Aldous Huxley.
À cette époque, Leary a déjà consommé du peyotl. Fasciné par son expérience du LSD, il décide de faire la promotion des psychédéliques. Il fonde l’International Foundation for Internal Freedom en 1962, et quelques années plus tard la League For Spiritual Discovery dont la devise « Turn on, Tune in, Drop out » deviendra le leitmotiv du mouvement hippie. Grâce au soutien financier de millionnaires convertis à ses thèses, Leary s’établit à Millbrook (New York) en 1963. Cette gigantesque demeure devient alors le haut lieu du psychédélisme. L’intelligentsia de la côte Est et de nombreuses stars, comme les Beatles ou les Rolling Stones, viennent y prendre leur premier acide. Le FBI décide y multiplie les interventions et arrête finalement Leary pour possession de cannabis en 1966. Pour Richard Nixon, alors président des États-Unis, Leary est l’homme le plus dangereux au pays. Il est condamné à plusieurs années de prison. Le gourou du mouvement psychédélique se transforme en martyr.
À la même période, Ken Kesey, l’auteur du célèbre roman « Vol au-dessus d’un nid de coucou », fait également la promotion des psychédéliques avec les Merry Pranksters. Considérés comme l’un des groupes fondateurs de la contre-culture américaine, ce collectif d’artiste s’engage dans une visite de l’étrange, de l’art décalé, du scandale et de la polémique contre le puritanisme ambiant. À partir de 1964, ils sillonnent le territoire américain dans leur bus Further, et organisent des fêtes, les Acid-Test, où ils distribuent des buvards et testent la dissolution de l’ego dans un contexte déjanté. Journalistes, musiciens, étudiants et curieux sont nombreux à y goûter et quelquefois à s’y perdre. C’est l’explosion hippie. Les tensions raciales, la violence du Vietnam, l’abstinence sexuelle avant le mariage, le matérialisme de la société industrielle sont rejetés. On prône l’amour libre, la liberté et la paix, aidé par le LSD qui « ouvre les portes de la perception » (Huxley, 1954), permet de prendre de la distance par rapport à soi, et d’entrevoir le nirvana.
Les médias de masse se penchent sur cette substance de la pleine conscience. Plusieurs articles sont publiés dans des journaux de premier plan aux États-Unis, aux Canada, et en Angleterre, suivis de plusieurs livres d’importance au début des années 1960. Le succès du LSD tient notamment au fait qu’il s’agit alors d’une substance légale que psychiatres et psychologues peuvent importer en toute légalité dans la plupart des pays. Mais la compagnie Sandoz est rapidement débordée par la demande et par les problèmes sanitaires, judiciaires et politiques engendrés par la consommation du produit. Le pic de popularité du LSD est atteint au milieu des années 1960 : accidents, épisodes de paranoïa, flash-back, décompensations psychotiques et suicides font la manchette. Il est décidé d’en arrêter la distribution en 1965. C’est que la prise de ce produit sans supervision médicale constitue un risque réel. Ce passage d’un usage thérapeutique à un usage récréatif et populaire condamne le LSD d’autant plus surement que cette consommation s’enracine dans un contexte sociohistorique singulier : indissociable du mouvement hippie, l’acide lysergique diéthylamide catalyse les conflits de valeurs, de classes et de génération qui caractérise l’Amérique des années 1960.
L’État réagit et, en octobre 1968, une loi fédérale rend le LSD illégal aux États-Unis. Richard Nixon, déclare la « guerre à la drogue » le 14 juillet 1969. Le gouvernement américain obtient, dans la foulée, l’inscription du lysergide au tableau I de la Convention de 1971 des Nations Unies sur les substances psychotropes. Un tel classement vaut reconnaissance par le droit international que le LSD a un « potentiel d’abus présentant un risque grave pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique ». La fête est finie.

Le présent et l’avenir du Dyéthylamine de l’acide lysergique

Quarante ans après l’interdiction américaine, la rencontre de 2006 à Bâle pour les 100 ans d’Hoffman donne lieu à un forum riche de rencontres. Les psychonautes des années 1960 présents à cette occasion admettent s’être bien amusés durant ces années magiques, mais sont d’accord pour affirmer que le LSD n’aurait jamais dû quitter la sphère médico-psychologique. Ils sont néanmoins confiants pour l’avenir. La recherche a repris sous plusieurs formes et s’est organisée, notamment autour de MAPS, la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies. Depuis 1986, cette association soutien plusieurs projets de recherche, dont une étude clinique de phase II visant à diminuer l’anxiété de patients présentant un cancer ou une autre maladie létale à l’aide d’une consommation contrôlée de LSD. De 2006 à 2012, Peter Gasser et son équipe suisse ont proposé à des patients en soins palliatifs deux prises espacées de lysergique afin de faire un point sur leur vie, leur famille, leurs amis et les aider à gérer leur anxiété. Les résultats montrent une amélioration significative de l’état psychologique des patients qui se maintient dans le temps, et aucun bad trip ne s’est produit durant l’étude. Cette recherche présente un protocole scientifique exemplaire et a été publiée dans le Journal of Nervous and Mental Disease (Gasser, 2014).
La reprise de la recherche est judicieuse, car l’acide lysergique diéthylamide n’entraîne pas d’addiction, et très peu de méfaits ont été constatés dans le cadre d’un usage contrôlé et modéré (Hoffman, 1979 ; Krebs & Johansen, 2013). La prise de ce produit est tout sauf anodine. Mais les risques qui lui sont associés ne résident pas dans l’intoxication directe, car sa neurotoxicité est faible. Le danger tient plutôt aux conséquences comportementales ponctuelles causées par la consommation (Smith, 1994). À l’heure actuelle, il n’y a pas de décès directement induit par cette substance. En revanche, les accidents, suicides et comportements dangereux provoqués par les effets psychiques du LSD ont été largement rapportés (Halpern & McLean, 1999). Son usage dans un contexte récréatif peut entraîner des phases d’hyperactivité et d’omnipotence donnant lieu à des prises de risque pour soi et pour les autres. Ces périodes maniaques, bien que très rares, peuvent par exemple amener à marcher sur une route sans se soucier de la circulation ou à sauter par une fenêtre. Sur un versant introspectif, la consommation de LSD peut entraîner des visions terrifiantes, la sensation très réelle d’être à l’agonie et à la fin de sa vie, de devenir fou pour toujours et, si un terreau fertile est présent, véritablement amener à une décompensation psychotique.
À l’instar d’autres psychédéliques, comme le MDMA utilisé avec succès pour soigner les états de stress post-traumatique, le LSD présente un potentiel psychothérapeutique. Celui-ci a été notamment étudié dans le contexte des soins palliatifs (Gasser, 2014) et dans la prise en charge de patients présentant un problème d’alcool (Mangini, 1998). Certes son usage peut être détourné et il comporte, comme la plupart des médicaments, des effets secondaires dangereux. Mais ces raisons suffisent-elles à exclure la perspective bien réelle d’une nouvelle thérapeutique destinées à des patients en souffrance peu réceptifs aux traitements actuellement disponibles ? Le cadre juridique aujourd’hui en vigueur fait en tous cas obstacle à la prescription de LSD, y compris dans le cadre limité d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative. Absent de la pharmacopée française et de la pharmacopée européenne, le lysergide est inscrit à l’annexe III de l’arrêté du 22 février 1990, fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. En application de l’article R5132-84 du Code de la Santé Publique, un arrêté du ministre chargé de la santé, en date du 10 septembre 1992, interdit sa fabrication, sa mise sur le marché et son emploi.
L’interdit légal qui frappe le LSD n’exclut pas, en théorie, toute exploration scientifique puisque des dérogations peuvent y être apportées, pour mener des essais cliniques, par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Mais la voie est si étroite qu’en pratique, la recherche sur le lysergide a été complètement abandonnée en France. Lancée dans les années 1950 par l’équipe du Professeur Jean Delay, au laboratoire de psychologie de l’hôpital Sainte-Anne, elle s’est arrêtée dans les années 1960. Et à l’exception de la thèse de Claude Olievenstein en 1967, très peu de travaux lui ont été consacrés depuis. Mais le contexte sociopolitique des années 60 qui a mené à son interdiction et condamné son potentiel thérapeutique a changé. Qu’ils aient été ou non hippies, les baby-boomers vieillissant peuvent à bon droit espérer qu’à la faveur du développement des soins palliatifs et des programmes de lutte contre l’alcoolisme, l’acide lysergique diéthylamide retrouve une légitimité thérapeutique.