Slate.fr : Marisol Touraine ne veut pas que l'on vapote du chanvre, même si ce n'est pas du cannabis
22 décembre 2014 2014-12-22 10:59Slate.fr : Marisol Touraine ne veut pas que l'on vapote du chanvre, même si ce n'est pas du cannabis
Slate.fr : Marisol Touraine ne veut pas que l'on vapote du chanvre, même si ce n'est pas du cannabis
Le «joint électronique» que l’on croyait prêt à être lancé en France n’en est pas un. Il n’empêche, la ministre de la Santé n’en veut pas. Dans le même temps, le premier médicament «cannabinoïde» pour les malades de la sclérose en plaques annoncé en janvier 2014 n’est toujours pas en vente.
«Le cannabis décidément ne rend pas intelligent, ni ceux qui en fument trop (et trop tôt), ni ceux qui n’en fument pas mais en parlent, droits dans leurs petites bottes.»
La formule est du Dr William Lowenstein, interniste et addictologue, président de SOS Addictions, interrogé par Slate après la décision de Marisol Touraine de demander l’interdiction de la commercialisation de Kanavape, une cigarette électronique au chanvre.
Certains, en France, avaient pu croire, que le «tabou brisé» en janvier, comme l’écrivait Le Monde, concernant l’usage thérapeuthique du cannabis augurait plus de souplesse en la matière. La ministre de la Santé avait alors salué l’autorisation de mise sur le marché accordée, en France, à un médicament «cannabinoïde» de la firme GWPharmaceuticals: le Sativex®. Un peu à la surprise générale des spécialistes de l’addiction et de la lutte contre la douleur.
Commercialisé dans plusieurs pays européens (Espagne, Italie Allemagne et Royaume-Uni), il s’agit d’un spray buccal dont le principe actif est constitué de deux molécules, le tétrahydrocannabinol (THC, principe actif du cannabis, responsable de l’effet euphorisant) et du cannabidiol (CBD, à l’effet «relaxant» mais qui ne provoque pas l’ivresse du cannabis et qui n’est pas un possible facteur de psychose).
L’entourage de Marisol Touraine soulignait néanmoins à l’époque qu’il ne s’agissait «pas de légalisation du cannabis thérapeutique, juste d’une autorisation accordée à un médicament». A fortiori il ne s’agissait en rien d’une ouverture vers la dépénalisation de l’usage récréatif du cannabis. Ceux qui pouvaient en douter en ont aujourd’hui la parfaite démonstration avec l’affaire de la «cigarette électronique au cannabis».
Début décembre, l’information commence à circuler dans les milieux spécialisés: le premier «joint électronique» serait sur le point d’être lancé en France par trois Français et une Tchèque. Il s’agit, disait-on, du «premier vaporisateur aux cannabinoïdes 100% légal». Une sorte de Graal commercial, un «vaporisateur à cannabis» qui ne serait pas interdit par la loi. Une drogue qui n’en serait pas vraiment une, en somme. Du grand art, un teasing de rêve assuré par la société Kanavape.
Rétropédalage
Il fallait attendre le 16 décembre au matin et une conférence de presse pour en savoir plus sur l’objet.
On apprend alors que les fabricants, Sébastien Béguerie et Antonin Cohen, militent depuis plusieurs années pour l’usage médical du cannabis. Ils ont ainsi fondé en 2009 l’association UFCM (Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine) afin de «promouvoir les informations relatives à l’usage du cannabis médical et de ses dérivés». Ce qui fait dire à Pierre Chappard, coordinateur du Réseau français de réduction des risques et président de PsychoACTIF:
«On peut en dire ce qu’on en voudra, mais ce produit n’est qu’un autre avatar de la prohibition: s’il a été créé, c’est pour contourner la prohibition du cannabis thérapeutique et du THC. Il a été créé par des patients que le cannabis soulage, et qui en ont marre d’être hors la loi. A l’instar de la cigarette électronique, c’est encore des usagers/patients qui prennent de vitesse les professionnels et les pouvoirs publics, et qui fabriquent leur propre outil pour répondre à leur besoin!»
Mais les créateurs l’assurent: le Kanavape «n’est pas un produit thérapeutique». Cette cigarette électronique finalement banale contient un liquide contenant 5% de CBD, extrait de chanvre industriel dont la culture est autorisée en France. Le flacon de ce liquide sera vendu 24,50 euros, annoncent les fabricants. Il «ne contient aucune saveur artificielle pour un goût naturel de chanvre», assurent-ils.
Ce «joint électronique» n’en est donc pas un. Et le Kanavape est devenu un «vaporisateur de chanvre» qui n’a aucun «effet psychotrope». Il ne contient pas de THC (tétrahydrocannabinol, interdit par la loi). Seuls effets allégués: «les bienfaits de la relaxation, anti-stress et anti-anxiété». «Nous voulons rester hors de l’usage récréatif du cannabis. Le Kanavape ne sera pas une alternative au pétard ni un joint électronique», affirment ses promoteurs.
Ils rappellent la «dangerosité du cannabis» dans sa version «illégale» (avec THC):
«Notre objectif n’est pas d’inciter à la consommation du cannabis, bien au contraire.»
Sur leur site Internet, ils insistent:
Mais ces précautions ne suffisent pas à satisfaire Marisol Touraine.
Quelques heures après les explications des créateurs, la ministre de la Santé annonce avoir demandé à ses services «d’étudier de façon très précise la situation de ce produit», précisant qu’elle a «l’intention de saisir le juge» pour interdire la commercialisation de Kanavape. «Je suis opposée à ce qu’un tel produit puisse être commercialisé en France» parce que «cela constitue une incitation à la consommation de cannabis», qui est«potentiellement répréhensible par la loi», explique-t-elle sur RTL.
Annoncer urbi et orbi l’interdiction avant d’avoir fait plancher ses services juridiques? C’est là une attitude politique à très haut risque (que se passera-t-il si ses services estiment qu’il n’y a pas matière à poursuivre?). Où l’on en vient à imaginer que la ministre a pu tomber dans une petite chausse-trape médiatique et publicitaire. Et ce d’autant plus aisément que Marisol Touraine nourrit depuis son apparition de très vives inquiétudes vis-à-vis de la cigarette électronique (substitut du tabac), cherchant de manière récurrente à freiner sa diffusion. Le Dr William Lowenstein l’exprime ainsi:
«Comment comprendre la sortie immédiate de notre pourtant éclairée ministre de la Santé? Interdire, il faut interdire! Pour qui, pourquoi? Pour protéger notre jeunesse du cannabis, évidemment… Mieux vaut tard que jamais et on ne change pas une équipe, une méthode qui perd… Notre pays ne laisse décidément aucune possibilité à un ou une responsable politique de nuancer ses propos dès que le mot cannabis est prononcé. Il faut vite dégainer sous peine de se voir accuser de laxisme ou d’irresponsabilité. Cela frôle le réflexe pavlovien. A tel point qu’on peut imaginer qu’un bon stratège en marketing a joué sur ce réflexe conditionné pour assurer la promotion de son produit. Que ce soit pour la e-cigarette (principale, pour ne pas dire première, avancée efficace contre les méfaits du tabagisme) ou pour le cannabis, la frilosité ne peut plus être une approche sanitaire recevable pour ce qui nous concerne tous: la prévention et la réduction des risques des addictions.»
Quant aux malades français atteints de sclérose en plaques et souffrant de douleurs sévères, il leur faudra encore attendre avant de pouvoir bénéficier du Sativex®. Annoncée il y a un an, sa commercialisation devrait intervenir «durant le premier trimestre 2015».«Le dossier de notre spécialité est encore en cours d’instruction devant le Comité économique des produits de santé pour fixation de son prix, a expliqué à Slate Christophe Vandeputte, directeur pour la France de la société Almirall qui commercialise ce médicament. En moyenne en Europe, le traitement coûte 440 euros par mois. Le Sativex® est déjà commercialisé dans 22 pays, dont 17 pays européens. Nous sommes toujours surpris de voir à quel point, en France, tout ce qui touche au cannabis prend aussitôt une dimension politique. De ce point de vue aussi il existe bien une exception française.»