Blog

Alcool en France : un bilan trouble-fêtes ?

verres_0
Actualité des addictions

Alcool en France : un bilan trouble-fêtes ?

verres_0
Paris, le samedi 13 décembre 2014 – Au printemps, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) publiait un rapport très complet sur la consommation excessive d’alcool dans le monde et rappelait qu’à la différence de ce qui s’observe pour la très grande majorité des enjeux sanitaires, ce sont les pays riches qui connaissent les niveaux de consommation les plus élevés. Cette situation repose dans les états occidentaux sur une certaine banalisation de l’alcool et tout au moins sur un refus de reconnaître l’ampleur des méfaits qui y sont liés. Pourtant ces derniers sont très largement partagés et concernent toutes les sphères de la société comme l’a mis en évidence sur notre site un récent sondage révélant que 64 % des professionnels de santé estiment compter dans leur entourage professionnel un confrère connaissant une consommation d’alcool délétère pour son activité, dont 40 % sont totalement convaincus d’un tel fait.
Cependant, le plus grand silence prévaut sur le sujet et la possibilité de mettre en place des contrôles systématisés chez les professionnels de santé n’est jamais ouvertement évoquée et toujours controversée. D’aucuns jugent néanmoins que l’année 2014 pourrait marquer un tournant décisif, notamment parce que la prise en charge de l’alcolo-dépendance semble enfin pouvoir s’émanciper de dogmes qui ont longtemps grevé son efficacité et favorisé le refus de la société de s’intéresser à la question de l’alcool.
Tel est tout au moins le bilan que proposent le docteur William Lowenstein président de Sos Addictions et le professeur Jean-Christian Farcot vice-président du comité de soutien de l’organisation. Ils estiment que plusieurs faits déterminants pourraient faire de l’année qui s’achève une étape révolutionnaire, à conditions cependant que ce mouvement imprègne l’ensemble de la société pour une prise de conscience généralisée.
Par les Drs William Lowenstein*et Jean-Christian Farcot**
À la fin de l’année, nous connaitrons bien plus précisément le nombre de voitures brûlées dans chaque ville que le nombre de comas éthyliques dans chaque service d’urgences.
Nous sommes en France, principal producteur mondial de vin avec des milliards de litres produits chaque année. Malgré les 49 000 morts prématurés par an liées à l’alcool, malgré les 3,5 millions de Français en difficulté avec leur consommation, malgré l’augmentation des ivresses (et binge-drinking) chez les adolescents et jeunes adultes, notre train de sénateur ne s’accélère guère en direction d’une mobilisation générale à décréter pour combattre cette catastrophe sanitaire et sociale à laquelle nous nous sommes si docilement, si culturellement habitués.

Révolutions

Pourtant, 2014 demeurera une année de premiers espoirs de changement avec deux (R)évolutions françaises : une révolution thérapeutique et une révolution conceptuelle.
Telle la bourgeoisie avant 1789, le changement naquit, il y a quelques années de médecins généralistes et de quelques psychiatres et addictologues, sous l’impulsion d’un cardiologue français émigré aux Etats-Unis en 1983, alcoolo dépendant, le Professeur Olivier Ameisen. En échec avec tous les traitements ou méthodes classiques, il contrôla sa sévère dépendance en avalant chaque jour des hautes posologies inusitées de baclofène. Sa guérison, publiée en 2004, fortement médiatisée par lui-même et son entourage, trouva un écho inimaginable chez tous ceux ou presque qui depuis des années vivaient le chaos de leurs rechutes et le désespoir de leur addiction (et renforça la certitude que l’addiction serait un phénomène physiopathologique que la boisson compense).
Jusqu’en 2014, année d’une autorisation partielle de prescription, plusieurs dizaines de milliers de personnes alcoolos dépendantes prirent le Baclofène en dehors de tout cadre légal et purent croire à la découverte du siècle malgré l’absence d’études médicales incontestables. Le plus spectaculaire fut l’adhésion des patients à ce nouveau traitement malgré la présence d’un certain nombre d’effets secondaires notables et la prise de 20 à 50 comprimés par jour ! Il n’était plus question d’abstinence à vie mais de possibilité grâce à un médicament (dont l’efficacité devrait enfin être connue prochainement) de reprendre le contrôle de la consommation d’alcool et de retrouver une vie « indépendante ». Les laboratoires  pharmaceutiques impressionnés par cette large demande médicamenteuse suivirent ce tsunami conceptuel et demandèrent l’AMM pour deux autres molécules : le nalméfène et l’oxybate de Sodium. Toutes deux poursuivent la révolution conceptuelle puisque la première se positionne comme un médicament anti abus, à usage discontinu et la seconde laisse envisager un bien-être physique et psychique en tant que dérivé du gamma-hydroxy-butyrate (cher à Henry Laborit), bien être suffisant pour ne plus avoir à le rechercher par l’alcoolisation chronique. Le dogme de l’abstinence, concept bien plus religieux que médical, se fracture aujourd’hui devant ces espoirs moléculaires de reprise de contrôle de la consommation. Une réelle révolution qui n’en finit pas de troubler quelques baronnies de l’alcoologie classique…

Binge drinking : le sursaut des pouvoirs publics

2014 fut également marquée par les volontés de lutte contre les alcoolisations massives des adolescents et des jeunes adultes. Bien sûr, le mot lutte déclenche toujours le réflexe répressif et l’on vit poindre sous la plume de l’Etat, avant qu’il ne se rétracte, un projet d’interdiction du « binge-drinking » ! Les jeunes Français ne consomment plus comme leurs aînés. Ils boivent bien moins quotidiennement, mais recherchent, pour un certain nombre d’entre eux, les effets de « défonce » que peuvent apporter à moindres coûts financiers (mais non sans risques physiques, hélas), des consommations intensives et brèves d’alcool. Ces nouveaux abus sont un défi déjà relevé par des associations sur le terrain dans bien des régions de France, de Bordeaux à Besançon, mais leur budget et leur rayon d’action restent bien limités pour éviter de façon significative ces « overdoses d’alcool».

Des réalités trop souvent ignorées commencent à s’imposer

2014 vit aussi la prise de conscience, oh combien brutale, d’un certain nombre d’évidences que nous avions sous les yeux depuis des années et devant lesquelles nous détournions bien souvent le regard. D’une part, l’alcool est la première drogue, la première solution (avant de devenir un problème) le premier produit dopant au travail. D’autre part, l’alcool est la « première drogue du viol » bien avant les médiatisés GHB ou zolpidem. Pour le premier point, il fallut le tragique décès, à l’hôpital d’Orthez, d’une femme accouchant en présence d’une anesthésiste malade de l’alcool et de son équipe non interventionniste. Pour le second point, il nous faut rappeler avec quelques alcoologues et journalistes qu’un tiers des jeunes filles françaises aurait leur première relation sexuelle sous l’emprise de l’alcool.
En conclusion, si des progrès neuropharmacologiques font espérer de réels changements dans la prise en charge des alcoolos dépendances et la prévention de leurs dommages sanitaires et sociaux, un immense chemin est à construire pour que nous puissions changer dans notre pays notre regard sur l’alcool, notamment en famille et au travail. L’éducation des parents ou des grands-parents s’impose pour qu’ils comprennent qu’il n’y a pas urgence à faire go(û)ter l’alcool, même un 31 décembre, à un anniversaire ou lors de la victoire de leur équipe de foot préférée.
Au travail, pour tous les postes nécessitant une conscience et une coordination parfaites, les portes ne devraient s’ouvrir qu’après un alcotest négatif en cas de doute d’une consommation inadaptée.  Que cela soit dans un bloc opératoire, à un poste d’aiguilleur du ciel ou à la tête d’un TGV ou un aéronef… On pourrait envisager la mise en place de « carte biométrique professionnelle », d’autant plus que l’identification biométrique est un domaine dans lequel la France jouit d’un leadership mondial.
Une seule question demeure, qui sera le successeur de Simone Veil, Claude Evin ou Bernard Kouchner ?
En cette fin d’année, pas question d’arrêter de célébrer le Bonheur, il n’est question que d’informer sur les dangers  de la procédure et donc après ce 2014 prometteur,  vive un grand 2015 ensemble !
* interniste, président de Sos Addictions
**cardiologue, vice-président du comité de soutien de l’organisation

www.sos-addictions.org
Les intertitres sont de la rédaction du JIM.