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Oui ou non, le cannabis est-il le diable ? La suite d’une polémique académique radicale

Cannabis leaf
Journalisme et Santé Publique

Oui ou non, le cannabis est-il le diable ? La suite d’une polémique académique radicale

Le temps n’est plus où le cannabis était une drogue perçue comme douce. L’Académie nationale de Médecine a relancé en de nouveaux termes la polémique sur ce thème. Nous en avons rapporté ici même le contenu (« Cannabis, alerte rouge à l’épidémie ») et les mesures drastiques proposées et signées J. Costentin, J.-P. Goullé et J.-P. Olié).
Vint la réaction, celle que nous adressa le Dr Didier Jayle. Ancien président (2002-2007) de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Didier Jayle est professeur d’addictologie au Conservatoire National des Arts et Métiers et médecin dans le service d’immunologie de l’Hôpital Européen Georges-Pompidou. Il dirige par ailleurs le site vih.org ainsi que la revue Swaps.
Nous avons publié, sur ce blog, le texte du Dr Jayle.  On le trouvera ici« Cannabis : Non l’Académie de Médecine ne remplit pas sa mission ! »  Nous ajoutions alors : « Il n’est pas interdit d’espérer que l’Académie nationale de médecine accepte de descendre, un matin prochain, sur le pré ». C’est fait.  Elle y est. Nous publions ici le texte en réplique signé du Pr Jean Costantin. Président du Centre National de Prévention, d’Etude et de Recherche sur les Toxicomanies  (CNPERT).
On voit ainsi, assez clairement exposées, les deux analyses radicalement opposées d’un même phénomène. Au-delà des immanquables affrontements personnels (le Dr Didier Jayle n’a pas souhaité répondre aux critiques concernant l’action qui a été la sienne, vis-à-vis du cannabis, quand il était à la tête de la MILDT. D’autres le feront peut-être, soulignant  ce qu’il en fut alors de la prévention et de la prise en charge des consommateurs intensifs. Il l’évoquait  pour partie dans son texte).
Deux analyses radicalement opposées du même phénomène. Un camp accuse l’autre de diaboliser le cannabis et, corollaire, d’en appeler à la répression. Il estime que le pire serait, précisément de réprimer, de criminaliser les comportements qui sont observés. L’autre camp accuse le premier de sous-estimer une réalité médicale et ses conséquences potentielles Les deux camps estiment que l’autre fait fausse route.
Cannabis. Il y a là, pour reprendre une formule largement usée,  un véritable « débat de société ». C’est une affaire éminemment politique. C’est si vrai que les responsables politiques se gardent bien de s’en emparer.
Voici l’essentiel du texte  du Pr Jean Costentin. Nous n’avons ajouté que les intertitres.
« L’Académie nationale de médecine à l’issue de la séance plénière (25 mars 2014), qu’elle a consacrée au cannabis et aux nouveaux cannabinoïdes de synthèse recommande : d’ériger la lutte contre cette drogue en une cause nationale ; de développer une pédagogie soutenue en direction des jeunes; de porter une attention particulière sur les trafics de cette drogue au sein des établissements psychiatriques ; de ne plus faire aucune concession à ceux qui contribuent à l’expansion de cette  toxicomanie ; d’interdire l’acquisition par le NET de graines de cannabis pour sa culture à domicile ou des nouveaux cannabinoïdes de synthèse, ainsi que la vente aux mineurs, dans des magasins, du matériel permettant la culture du chanvre, des pipes à eau, du papier à cigarette grand format, des « vapoteurs », détournés pour la consommation du cannabis.
Soins palliatifs
Comme toujours quand des déclarations troublent la quiétude des consommateurs de drogues ou de ceux qui exploitent leur faiblesse l’Académie doit s’attendre à essuyer des critiques. En l’occurrence, la plus véhémente émane d’un ancien (2002-2007) président de la MILDT (mission interministérielle de LUTTE contre les drogues et les toxicomanies), le docteur Didier Jayle.
Quelques éléments biographiques peuvent éclairer sa réaction. Après un passage par la case sida, où il a connu le cannabis utilisé dans une démarche de type soins palliatifs, chez de malheureux patients dont l’issue fatale était alors à court terme ; puis il fut nommé à la présidence de la MILDT, en remplacement d’une ex-militante trotskyste, magistrate, secrétaire du syndicat de la magistrature, Mme Nicole Maestracci, pour mettre un terme aux efforts qu’elle avait déployé en faveur de la légalisation du cannabis, de sa banalisation et de son expansion.
Tordre le bras
A sa prise de fonction, Didier Jayle, faisant des compliments appuyés à celle qui l’avait précédé, j’ai alors compris que ce ne serait pas le dégel attendu. Je me suis, à plusieurs reprises, opposé à lui, devant presque lui tordre le bras pour lui faire reconnaître, mezzo voce, la nocivité du cannabis. Il  garda les mêmes collaborateurs que ceux dont s’était entourée Mme Maestracci. Quelques-uns de mes amis s’étonnaient des accusations de laxisme, de complaisance, de collusion même avec les cannabinophiles que je lui adressais. Sa récente prise de position (sur le blog de Jean-Yves Nau) lève toute équivoque à cet égard.
Après l’élection d’un nouveau président de la République (2007), il fut mis fin à sa fonction. Un juge, Mr Etienne Apaire le remplaça. Avec beaucoup de précautions verbales, on eut alors un discours plus clair sur la dangerosité du cannabis. Il mit fin à la traque organisée, via les DRASS et les rectorats, de ceux qui diffusaient auprès des jeunes des messages de  mise en garde, de prévention, et qui pressaient les décideurs de prendre la mesure du drame sociétal qu’est l’expansion du cannabis au sein de la jeunesse. En 2012, avec l’élection de l’actuel président de la République, Mr. Apaire fut remplacé par une juriste, Mme Jourdain-Meninger (…)
Lanceuse d’oukases
Aujourd’hui le Dr Jayle  porte un jugement sur le travail académique «  Non, l’Académie de Médecine ne remplit pas sa mission » (se croit-il habilité à définir ses missions ?) ; « sous l’influence de quelques extrémistes elle lance des oukases inutiles dans un domaine qu’elle connaît mal » (l’extrémiste est pour lui celui qui ne partage pas ses convictions ; l’Académie ne lance pas d’oukases, tels ceux qu’il aurait dû, lui, exprimer, quand il était aux manettes de la MILDT. L’Académie exprime des recommandations, sagement mûries, émises par les meilleurs spécialistes de différentes disciplines qu’elle compte en son sein (pour ce sujet : pharmacologistes, toxicologues, psychiatres, pédopsychiatres et spécialistes des disciplines médicales concernées), en se faisant assister, le cas échéant, de spécialistes extérieurs à l’Académie).
« L’Académie ne tient aucun compte de l’évolution de la société ». Certes elle ne fait pas de suivisme, mais elle contribue de son mieux, avec ses compétences, à éclairer et à prévenir les faux pas que cette évolution peut comporter. « Elle propose des solutions qui ont fait la preuve de leur inefficacité ». Encore faudrait-il que ces solutions aient été effectivement mises en œuvre, mais ce n’est pas la présidence Jayle qui s’y est essayée, ni d’autres avant ou après la sienne, d’où la situation calamiteuse du cannabis dans notre pays.
Modèle suédois
« Le cannabis fait partie intégrante de l’environnement des jeunes européens », il oublie de préciser, parce que cela relève (en partie au moins) de sa propre responsabilité, que sur les 28 Etats membres de l’Union européenne, les jeunes Français sont les plus gros consommateurs de cette drogue.
« La prohibition ne fonctionne pas dans les pays démocratiques »- son constat  voue les Etats démocratiques à l’anéantissement par les drogues. Il méconnaît l’efficacité de la politique suédoise en cette matière (pays sans nul doute démocratique), qui permet à cette nation de pouvoir s’enorgueillir, grâce à l’application de sa législation et à une pédagogie intense, de compter (en proportion bien sûr) dix  fois moins de toxicomanes que la moyenne européenne. Oui Mr  Jayle, « là où il y a une volonté il y a un chemin », mais là où prévalent l’ignorance, la négligence, l’indifférence et, pire, la complaisance, on atteint à l’intoxication majeure d’une jeunesse si vulnérable (…)
Besoin de transgresser
Et de poursuivre en contestant les quatre recommandations émises par cette Académie, qu’il qualifie de « vœux pieux »
(…) La majorité de nos jeunes respecte la prohibition du cannabis, même si confrontés à de très fortes incitations fortes une petite majorité d’entre eux l’expérimentent. La prohibition a marqué leur expérimentation d’un sentiment de crainte et même de peur, qui a dissuadé beaucoup d’entre eux d’y revenir. Quant à ceux qui ont un irrépressible besoin de transgression, qui croient devoir en passer par là pour accéder au statut d’adulte, la légalisation du cannabis les contraindrait à s’adresser à une drogue encore plus dure pour franchir le pas. (…) »