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Drogués aux opiacés : trafics de Subutex (L’Express) et éclairages du Dr Lowenstein (SOS Addictions)

Subutex
Journalisme et Santé Publique

Drogués aux opiacés : trafics de Subutex (L’Express) et éclairages du Dr Lowenstein (SOS Addictions)

SubutexDepuis un siècle l’opiomanie moderne. Depuis 1996, en France,  le Subutex ou chlorydrate de bupénorphine.  Voilà ce qu’en dit le gouvernement. C’est un médicament « exclusivement réservé au traitement de substitution des pharmacodépendances majeures aux opiacés, dans le cadre d’un suivi médical et psycho-social, fondé sur un accord entre le patient et son médecin ». Ce traitement est « réservé aux adultes et enfants de plus de quinze  ans volontaires pour recevoir un traitement de substitution ». C’est un médicament dont la Haute Autorité de Santé (HAS) estimait en 2011 que le service médical rendu restait « important ». Comme on peut le lire ici.
Condamnable
Il y a le Subutex dont la « mise sur le marché, de l’avis général a constitué une étape majeure dans la politique française de réduction des risques multiforme associés aux pharmacodépendances majeures aux opiacés. Et puis il y a les trafics au Subutex, aussi vieux que le Subutex lui-même. Un phénomène condamnable mais qui ne peut surprendre que ceux qui ne connaissent rien à la toxicomanie aux opiacés en particulier et à la toxicomanie en général. Les autorités sanitaires en sont parfaitement conscientes et  informées. Extrait de l’avis de la HAS de 2011 :
Mésusage
« Compte-tenu du mésusage et de l’usage détourné des spécialités à base de buprénorphine  dont le Subutex, ces médicaments bénéficient d’une surveillance renforcée à l’Afssaps. [voir ici].  Dans ce contexte l’Afssaps a élaboré une mise au point destinée aux professionnels de  santé sur l’initiation et le suivi du traitement substitutif par buprénorphine haut dosage afin  d’améliorer la prise en charge des patients et le bon usage de ces traitements. »
Jean-Marie,  ancien toxico anonyme
Il y a les trafics au Subutex et l’intérêt légitime que les médias peuvent leur porter. C’est un intérêt récurrent comme le montre, en quelques secondes, une banale recherche motrice sur la Toile. Exemple. Pour un peu ce serait un marronnier-santé. Le dernier article sur ce thème figure dans le dernier numéro du magazine L’Express. Article que l’on peut lire ici.  Il y est question pour l’essentiel d’un « trafic sur ordonnance » entre Paris et l’île Maurice. Et plus généralement de France vers d’autres pays. L’auteure de l’article cite Jean-Marie « un ancien toxico ». Il déclare : « Comment s’étonner qu’il y ait des trafics alors que la distribution du ? ‘’Sub’’ est si peu encadrée et si mal contrôlée ». ?  L’auteure cite aussi l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies qui appelle à la vigilance.
Dérives
« Même les défenseurs des toxicomanes comme Asud (Auto-support des usagers de drogues) s’inquiètent des dérives, ajoute L’Express. « Le « Sub » est devenu une drogue de rue qui a remplacé l’héroïne sur les trottoirs, avertit Fabrice Olivet, directeur de l’association et membre de la Commission des stupéfiants et psychotropes. Pour certains ados, il est à présent la porte d’entrée dans le monde des opiacés. » Une drogue propre, facile à obtenir et bon marché, mais dont l’association avec les benzodiazépines, ces médicaments utilisés contre l’anxiété, peut être mortelle’’. »
L’Express : « Les dealers font preuve d’une remarquable capacité d’adaptation et d’un solide sens de l’organisation, comme l’a montré l’enquête sur un vaste trafic de Subutex en région parisienne qu’a menée la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy. Dans les écoutes versées au dossier, ils évoquent dans leur jargon les « architectes » ou « ingénieurs » auxquels ils ont l’habitude de s’adresser afin de récupérer les « feuilles » ou « papiers » nécessaires pour s’approvisionner auprès des « boutiques » ou « magasins ». 
Pharmaciens complices
Traduction : un petit réseau de médecins complaisants leur délivre les ordonnances indispensables pour se ravitailler en Subutex chez des pharmaciens complices. Leur botte secrète, ce sont des centaines de cartes Vitale, de copies d’attestations de couverture maladie universelle ou d’aide médicale d’Etat, toutes usurpées ou volées, qui leur permettent d’obtenir des ordonnances établies au nom de centaines d’assurés différents. Ni vu ni connu.  25 personnes, trafiquants, médecins et pharmaciens, sont impliquées dans le dossier parisien, qui, à lui seul, aurait coûté 4 millions d’euros à l’Assurance-maladie. »
 Relecture
On peut en rester à cette lecture, troublante. On peut aussi demander une relecture à un professionnel des thérapeutiques aux addictions.
Voici celle du Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions
«  Cet article de l‘Express.fr ratisse large, ménage et accuse en même temps. Il ne structure ni autorise une réflexion de sante publique. C’est de l’express, corsé et approximatif, comme un mauvais petit jus au comptoir du bar du commerce journalistique.
Il manque notamment,  cruellement, les angles suivants :
– La France n’est pas la « racine du mal » mais bien un pays privilégié , un pays pilote pour les traitements substitutifs aux opiacés dont l’ Ile Maurice ferait bien de s’inspirer.
– La France (Cnam, Ansm & C°  est confrontée dans bien des domaines à bien des types d’escrocs  de type « médico-sécu- » induits : de l’urologue qui opère des tumeurs de vessie inexistantes, à l’orthopédiste qui pose des prothèses de hanches à tour de bras en passant pas des « ententes illicites » cent fois plus coûteuses pour la Sécu, et donc pour nous (affaire Lucentis/Avastin).
Cet article ne fait pas honneur au journalisme d’investigation et de réflexion en santé publique. Il est presqu’aussi mauvais que les reportages de M6, W9 & C° sur le sujet des « toxicomanies ».
Cet article est symptomatique de ce retard et obscurantisme, de ce mauvais ton « grand public » qui ne font que repousser dans les oubliettes de la frilosité politicienne des actions institutionnelles et sanitaires positives – des actions absolument nécessaires (que ce soit sur les nouveaux usages d’opiacés ou la précocité des consommations de cannabis).
Si nous ne voulons pas tomber dans une « impasse Front National » (poser de vraies problématiques et n’y répondre que par des cris primaires), sachons exiger des médias, des politiques et de l’Académie de Médecine (cf sa réunion du 25 mars 2014 sur le cannabis) des réponses structurées associant à une répression bien souvent contre-productive des stratégies clairement évaluables de prévention, de soin et de réduction des risques.
Et  développons dans le même temps une réflexion diplomatique et stratégique  sanitaire internationale pour aider l’Ile Maurice (et bien d’autres pays) à développer l’accès aux MSO (Methadone, Buprenorphine Haut dosage et association Buprenorphine/Naloxone). Cela participera au redressement de l’image de la France dans le monde. Incidemment cela nous fera perdre moins d’énergie et de temps dans une lutte douanière coûteuse en parcours humains et indigne d’une démocratie du XXIème siècle. »