L’alcool vous rend haineux, furieux, bestial, myope, jaloux, hyper-violent ? Les alcooliers vous disent pourquoi
14 mars 2014 2014-03-14 15:02L’alcool vous rend haineux, furieux, bestial, myope, jaloux, hyper-violent ? Les alcooliers vous disent pourquoi

L’alcool vous rend haineux, furieux, bestial, myope, jaloux, hyper-violent ? Les alcooliers vous disent pourquoi
On ne la sait pas assez : des alcooliers financent des recherches sur les boissons alcooliques. Sur l’effet de ces boissons sur le corps humain. C’est le cas, en France de l’Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons mieux connu des spécialistes sous son acronyme : Ireb (1).
L’Ireb recevait la presse spécialisée il y a quelques jours à Paris, en l’Hôtel des Arts et Métiers pour sa 43ème « matinée scientifique ». Au menu, la relation entre la consommation de boissons alcooliques et les comportements agressifs ou violents. Deux conférenciers :
. Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble et Directeur de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH Alpes) ;
. Véronique Nahoum-Grappe, membre du comité scientifique de l’Ireb, anthropologue et chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Relation de causalité
Qui douterait d’un lien entre l’alcool et la violence ? Pour Laurent Bègue la question est celle du mode opératoire. Pas simple : il a autant de mode que de spécialités.
L’ethnographe montre que les consommations n’ont pas d’effets homogènes : elles dépendent des « régulations sociales » qui les encadrent. On ne boit pas à Tahiti comme on s’enivre à Sarcelles. A Paris le policier et le juge diront que la présence de l’alcool chez l’auteur et/ou les victimes de violences varient entre 30 et 70 %. Les géo-spationautes américains s’intéressent aux superpositions entre les lieux d’homicides et l’implantation des débits de boisson. Le niveau de superposition ne manque pas de troubler l’honnête homme.
Tenanciers
Pour les économètres la disponibilité de l’alcool dans une aire géographique donnée et les violences sont corrélées. Moins d’alcool équivaudrait à une baisse des violences. Souvenons-nous de la Prohibition. L’alcool semble consubstantiel de la délinquance auto-déclarée comme des violences faites aux femmes. Les tenanciers de débits de boissons, les assistantes sociales et les videurs de discothèques en connaissent un rayon sur le sujet.
Ici la science n’est pas muette mais elle parle trop. Ce sont les effets pharmacologiques de la molécule alcool dans les rouages cérébraux (effets psychomoteurs, contrôle inhibiteur…). Depuis peu, et faute de mieux, elle a trouvé la myopie alcoolique. C’est un phénomène « qui tend à exacerber le rôle du contexte environnant vers un comportement agressif en cas d’ambiance conflictuelle » explique M. Bègue.
Circonstances « atténuantes » ?
La perte alcoolique du contrôle de ses actes est souvent invoquée comme circonstances atténuantes par les auteurs de violences. Ils devraient plus fréquemment rencontrer des juges hors des tribunaux. Ces juges leur expliqueraient que c’est l’inverse : vous étiez sous l’emprise de l’alcool ? Ce sera le double ! Des traces judéo-chrétiennes ? La repentance des plaisirs de l’ivresse ? Seul un prêtre pourrait répondre.
Laurent Bègue et son équipe ont mené une expérience amusante à Grenoble. Ils ont réuni des volontaires pour tester une nouvelle boisson mystère en disposant, au hasard, des doses d’alcool et des doses placebos. Des évaluations des comportements, agressifs ou pas, ont ensuite été évaluées avec l’intervention d’un expérimentateur « provocateur ».
Alcool-placebo
Les résultats montrent que la mesure d’agressivité est corrélée non pas avec l’alcoolémie mais bien avec le profil psychologique des volontaires. Et les personnes se croyant alcoolisées se sont montrées plus agressives. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet « placebo » de l’alcool. Ou l’alcool bouc émissaire. Une expérience qui ravira les alcooliers. Prudence toutefois : « cette étude singulière ne peut être opposée à elle seule aux méta-analyses ayant montré clairement un lien alcool/violence ».
En amont du boire
Avec Véronique Nahoum-Grappe on centre sur l’ethnologue et l’alcool. Une vieille histoire, avec beaucoup de mots, des mots précieux, genre psychanalyste. D’abord différencier la scène de l’ivresse (quelques heures, quelques jours), de la problématique de l‘alcoolisme chronique (des années).
L’ivresse du buveur non alcoolique ? Elle est en cause dans les violences éruptives, non préméditées, dénuées de tactiques, comme de stratégies froidement conçues en amont du boire, comme le vol ou la vengeance. La violence du buveur alcoolique qui bat sa femme pendant des années ? L’alcool, bien sûr. Mais, sous l’alcool, le délire de jalousie typique de sa pathologie. Ou un système de croyance culturelle qui définit la femme comme « devant être battue », ce qui peut se comprendre. Il la bat (l’abat) quand il a bu (abus) comme quand il n’a pas bu. Se souvenir que le buveur alcoolique à jeun est de très mauvaise humeur a priori.
Vive la haine !
L’ethnologue dit encore que la haine est un puissant psychotrope, à la fois antidépresseur et anxiolytique. Les supporters d’équipes sportives en usent autant que de l’alcool. La haine construit « son système théorique de lecture du monde extérieur », ce qui permet parfois de faire l’économie de l’alcool dans l’agression imprévue contre l’ennemi haï mais rencontré par hasard… Mais le plus souvent, l’agressivité éruptive (imprévue et non théorisée par la haine construite) du buveur ivre est une réponse à une souffrance interprétée comme une blessure. L’ivresse semble aider à produire la (con)fusion provisoire.
Nous connaissons tous des scènes d’ivresse. Et nous savons tous à quel point elles peuvent être hétérogènes. Pour Mme Nahoum-Grappe la seule idée de boire, le début de l’ivresse, sont en général liés (dans notre culture) à une jubilation collective, un changement de temps social : du travail sobre à la pause réjouissante. C’est le célèbre « pot » dont on croit savoir qu’il n’est plus autorisé dans l’espace de travail.
Peau de chagrin
Puis le temps passe. Avec la durée du boire, l’écart entre le désir et le réel devient peau de chagrin. La cascade commence : le buveur ivre agit avant de prévoir son geste. Au réveil du matin ce buveur long ne sait plus si la scène était réelle…Le situation est hors-contrôle. A cause d’un mécanisme de désinhibition (image de couvercle levé) mais aussi à cause de cette coupure d’avec le monde réel – régression à un espace enfantin où les frontières entre le dedans et le dehors du corps sont brouillées. Certains remettent pied sur terre, remontent du trou, tapent du pied au fond de la piscine, entrevoient la lumière néo-christique des AA, disent au revoir au lapin d’Alice, se font une raison. D’autres non.
Blanche était la nuit
Il faut pour cela que l’éthanol ait considérablement envahi le système neurocognitif du buveur. Il faut avoir atteint la fin de la nuit blanche, doublé les buveurs en bandes – assez souvent masculines selon Mme Nahoum-Grappe. Ces bandes qui ne veulent pas quitter le monde en abîme de la nuit. Ces bandes qui dans des degrés d’alcoolisation extrême, chavirent dans l’espace, au-delà des bornes de la gravité. Dangers pour ces bandes, oranges et mécaniques. Et danger pour autrui.
La 43ème « Matinée scientifique » de l’Ireb s’achève. Nous ne disposons pas encore des commentaires des grands alcooliers quant à ce qu’il en pourrait en être, ici, de leurs responsabilités.
(1) Présentation officielle : « Fondé en 1971, à l’initiative de sociétés productrices et distributrices de boissons alcoolisées, l’Ireb a pour mission de contribuer à la recherche alcoologique, à la fois par les études que l’Institut conduit pour son nom propre (Observatoire « Les Français et l’Alcool », Enquêtes « Jeunes et Alcool ») et par les travaux qu’il subventionne. A la suite d’un appel d’offres annuel, son comité scientifique, composé d’experts indépendants et bénévoles, attribue de manière autonome des subventions aux travaux en alcoologie d’une trentaine d’équipes de chercheurs du secteur public, en sciences biomédicales et sciences humaines. Plus de 500 programmes de recherches ont été subventionnés à ce jour. Dans le cadre de sa mission, l’Ireb entend être à la fois un organisme de recherche, une source de documentation et un lieu d’information sur l’alcool. »