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Salons fumeurs pour éléphants cancéreux (en écho à une chronique du Monde)

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Journalisme et Santé Publique

Salons fumeurs pour éléphants cancéreux (en écho à une chronique du Monde)

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Ce billet fait suite à une chronique de notre confrère Stéphane Foucart du Monde – chronique qu’il signe dans le quotidien daté 8-9 février et dont nous publions; ci-dessous, le texte (1).

Résumons le propos de notre confrère. Il  reprend et amplifie les conclusions de l’association écologiste Réseau environnement santé (RES) à propos du 3ème Plan cancer qui vient d’être rendu public par François Hollande. Plus précisément il reprend une partie des affirmations présentes dans le dernier communiqué de presse de ce même RES ; communiqué que l’on peut lire ici.
Affirmations
Notre confrère fait notamment siennes ces affirmations :
« La France devrait mener une politique particulièrement active car elle affiche parmi les taux les plus élevés au monde en matière de :
– cancer de la prostate : La France métropolitaine est le 2ème pays au monde derrière la Norvège… mais la Martinique a un taux plus élevé encore que la métropole.
– cancer du sein : La France métropolitaine est le 3ème pays au monde derrière la Belgique et le Danemark.
A l’intérieur de la France, la Réunion affiche des taux inférieurs de moitié à ceux de la France métropolitaine pour le cancer de la prostate et du sein. Pourquoi cette réalité n’est-elle pas mentionnée dans le plan cancer ? L’accent mis sur les inégalités sociales est justifié, mais pourquoi la dimension géographique n’est-elle pas plus mise en lumière ? »
Croix sur le tabac
Il ne va pas certes toutefois pas jusqu’à reprendre cette affirmation du RES:
« Comme l’illustre ces chiffres, l’analyse des facteurs de risque actuelle mettant l’accent sur le tabac est obsolète. Il est impossible aujourd’hui d’expliquer la croissance du cancer par un facteur de risque comme le tabac alors même que celui-ci est en diminution et qu’il n’est pas lié aux cancers hormono-dépendants. Les connaissances scientifiques actuelles montrent le rôle majeur joué par les perturbateurs endocriniens. »
Restons un instant dans le champ du tabac. Les cancers tuent en France près de 150 000 personnes chaque année. Le principal  tueur est connu. C’est le tabac,  premier « facteur de risque évitable ». C’est le Plan cancer qui le dit. Il ne va toutefois pas jusqu’à dire que le tabac est  une drogue légale hautement fiscalisée au pouvoir addictif considérable.
Abstinences
Plan cancer : « Le tabac est responsable de près de 30 % des décès par cancer et à l’origine de près de 90 % des cancers du poumon, plus de 50 % des cancers des voies aérodigestives supérieures selon la localisation (bouche, larynx, pharynx, oesophage), 40 % des cancers de la vessie et 30 % des cancers du pancréas. Il est aussi impliqué dans les cancers des voies urinaires et du rein, du col de l’utérus, de l’estomac, de certaines leucémies, des cancers de l’ovaire, du côlon et du rectum et du sein. »
Conclusion de la chronique : « Est-il juste que ceux qui ont décidé de ne pas prendre ces risques en courent d’autres, à leur insu ? » Comprendre : est-il juste que ceux qui ont décidé de ne pas consommer de tabac et de ne pas boire d’alcool continuent à être exposés à des risques environnementaux que personne ne connaît avec précision ? Et que personne ne connaîtra peut-être jamais.
Belles âmes
Cette exposition à l’insu des citoyens abstinents est sans aucun doute « injuste ». Est-ce dire qu’elle ne l’est pas pour les autres ? Est-ce dire que les fumeurs et buveurs ne sont pas concernés par les facteurs de risques hormono-dépendants ? Qu’en est-il des véritables raisons qui font que l’on décide, ou pas, de céder au tabac ?  Ce sont bien là des discussions de salon. D’un salon sans éléphant. D’un salon où les belles âmes ne voient pas le monstre. Un monstre dont trois invités sur dix sont esclaves. Un monstre qui tuera trop tôt (et dans quelques souffrances) celles et ceux qui sont tombés dans ses griffes addictives. Un monstre qui nourrit assez grassement  notre Etat et que notre Etat entretient en faisant mine de vouloir le chasser.
Regarder  dans le salon
Hiérarchiser ? Chercher le scandale ? Avant de reprendre un verre il suffit de regarder dans le salon : un pur scandale est niché dans ce 3ème Plan. Il concerne
.les malades cancéreux (tous cancers confondus)
.les bénéficiaires de la CMU (tous âges confondus)
.Les  « jeunes » (de 20 à 30 ans).
Humour
S’ils fument et s’ils décident d’arrêter le tabac notre collectivité leur remboursera la somme (plafonnée) de 150 euros pour qu’ils tentent (avec des substituts nicotiniques) de sortir d’un esclavage dans lequel ils auraient « décidé » d’entrer.
Le 3ème Plan Cancer ne dit pas si le cancéreux âgé de 25 ans, par ailleurs bénéficiaire de la CMU pourra disposer ici de 450 euros. Ne voir aucun humour, ici. L’auteur de cette mesure officielle n’a rien d’un humoriste.
 (1) Voici le texte de cette chronique intitulée « Le crabe et l’éléphant »
 « ‘’Un éléphant dans le salon. «  Les anglophones ont la chance de disposer de cette expression qui décrit à merveille les situations dans lesquelles un problème est trop important pour ne pas être remarqué et où, dans le même temps, se dégage une sorte de consensus tacite pour estimer sa résolution illusoire. Le pachyderme peut s’installer tranquillement dans le petit salon : les convives poursuivent leurs conversations l’air de rien, chacun feignant d’ignorer sa présence. Il s’agit de ne pas être l’idiot qui, le premier, proposera aux autres de procéder à la délicate exfiltration de l’animal.
Il y a un peu de cela dans le plan cancer rendu public le 4 février. Bien sûr, il faut reconnaître que le texte a été largement salué pour ses ambitions premières : réduire les inégalités d’accès aux soins, améliorer les conditions de vie matérielles des malades, lutter contre le tabagisme (première cause de mortalité évitable), etc. Rompant avec un concert de louanges sans doute mérité, le Réseau environnement santé (RES) fait remarquer de son côté que deux éléphants sont bel et bien là, au milieu du salon.
Le premier est le cancer du sein, le second celui de la prostate. Ce sont les deux cancers les plus fréquents. Ce sont aussi ceux dont l’incidence (les nouveaux cas diagnostiqués par an) a le plus fortement augmenté au cours des dernières années, malgré la prise en compte du vieillissement de la population.
Pour le cancer du sein, la France est le troisième pays le plus touché dans le monde. Pour le cancer de la prostate, notre pays réalise l’exploit d’occuper les première (Martinique) et troisième (France métropolitaine) marches de ce sinistre podium.
Pourquoi une telle épidémie de ces cancers hormono-dépendants ? L’exposition diffuse aux produits dits  » perturbateurs endocriniens  » (certains pesticides, matériaux au contact des aliments, solvants, etc.) est l’un des principaux suspects. Il n’y a bien sûr pas de preuve épidémiologique définitive de ce lien. Et il n’y en aura sans doute jamais, du fait de l’ubiquité et des subtils modes d’action de ces molécules – effets différés, action à faibles doses pendant la période périnatale, etc. Cependant, les éléments de preuve rassemblés en février 2013 dans le rapport de l’Organisation mondiale de la santé et du programme des Nations unies pour l’environnement justifient amplement des mesures de prévention.
Or de cela, relève le RES, le plan cancer ne dit rien ou presque. Il renvoie à la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, mais celle-ci, qui était attendue à l’automne 2013, n’existe toujours pas… Dommage.
Certes, les cancers du sein et de la prostate sont de mieux en mieux soignés. Certes, le tabac et l’alcool sont les principaux tueurs. Mais est-il juste que ceux qui ont décidé de ne pas prendre ces risques en courent d’autres, à leur insu ? »